Rav Imanouel Mergui
Il y a des animaux qu’on n’a pas le droit de consommer, dits non cachères (et même ce qui est cachère doit être validé cachère…). Cependant les Maîtres nous livrent un enseignement exceptionnel, ce qui n’est pas cachère doit être éloigné de notre consommation mais pas de notre esprit. Ne pas consommer certains aliments c’est ne pas les introduire en nous par notre alimentation, mais on peut et on se doit de les introduire en nous d’une autre manière. On n’exclut rien, on apprend à avoir un rapport avec les éléments de la création divine tel que D’IEU décide que nous les introduisions en nous. Chaque animal non cachère reste une valeur divine puisque créé par D’IEU. Ce principe nous l’apprenons déjà de notre troisième Père qui compare ses enfants à des animaux non cachères : Yéhouda pour le lion, Yissah’ar pour l’âne, Dan pour le serpent, Binyamin pour le loup (voir Béréchit chapitre 49). Nous devons donc nous inspirer des animaux pour servir D’IEU. Le monde de la nature n’est pas qu’une création dramatique de laquelle nous devons nous protéger. Le lion, le loup et le serpent sont des animaux sauvages qu’on ne connaît que dans les zoos enfermés dans leur cage. C’est avoir un regard positif et constructif des éléments de la nature. Citons un exemple plus actuel, le covid dramatise la vie, il la bouscule voire la déstabilise, mais réfléchissons un tant soit peu s’il n’y a pas quelque chose de positif dans ce virus ?… (je ne proposerais ici aucune réflexion positive sur ce virus…). Le juif doit avoir une lecture tangible des choses de la vie. Si on vit dans la critique on éloigne les éléments de la vie. Si on lit la vie de façon plus existentielle on n’éloigne rien. Grève et manifestation sont des phénomènes de société dont la Tora ne leur reconnaît aucune valeur et aucune légitimité – il me semble que la raison soit justement dans cet exercice de rapprochement, d’ouverture et de tolérance de la vie, de l’autre. La Tora nous invite à avoir toujours une perspective d’ouverture et de laisser la place à tout. Dans toute sa rigueur et son exigence extrême la Tora est synonyme de ‘’monde affectif’’ – ‘’olam hayédidoute’’ comme l’appelle notre Grand Maître Rav Chlomo Wolbe ztsal, il a écrit tout un livre pour le prouver et le démontrer… La Tolérance est une des plus grandes dimensions de la Tora qui a subi le plus d’incompréhension et de malentendu. Tolérance et ouverture sont le propre même de la Tora, au point où au moment D’IEU adressa la Tora aux hommes IL tendit la main à tous les peuples pour la recevoir ! La Tolérance de la Tora est indissociable de sa rigueur. Le deuxième texte qui nous livre cette idée sensationnelle de tirer des points positifs d’animaux interdits à la consommation est ‘’Perek Chira’’. De quoi s’agit-il ? C’est un Midrach qui cite le chant et les louanges que les animaux expriment à D’IEU et par lesquels ils l’exaltent. Des grands Maîtres de l’histoire l’ont commenté j’en citerais deux : Rabi Moché de Trani dans son livre Bet Elokim (1505/1585), et le H’assid Yaâvets dans son Sidour (1698/1776). L’étude de ces textes promet d’immenses vertus. On y trouve l’expression des reptiles, même de la géhenne, le scorpion, le crocodile, le chat, l’aigle etc. Le troisième texte qui va également dans ce sens est l’enseignement tiré de Pirké Avot 5ème chapitre au nom de Yéouda Ben Téma – à propos duquel notre Grand Maître Rabénou Ovadya Yossef ztsal écrit dans son commentaire Anaf Ets Avot (page 376) au nom du Rachbats : ce maître fait partie des dix martyrs tués sauvagement par les ennemis d’Israël. Yéhouda Ben Téma dit : sois impétueux tel la panthère, léger comme l’aigle, cours tel le cerf, sois fort comme le lion… il est de notre devoir de nous inspirer des éléments naturels, tous confondus, ‘’pour réaliser la volonté de ton père céleste’’, conclut Yéhouda Ben Téma. Il me semble que tout ceci soit inscrit dans le verset prononcé dans Eih’a 3-38 « de la bouche suprême ne sort rien de mal » ! D’IEU est bon et de tout ce que le monde contient ne doit sortir que de la félicité. La Tora nous demande d’avoir un regard divin sur tout ce qui nous entoure, donc TOV par essence et par excellence. Que pouvons nous tirer de bien de ce qui paraît être mauvais ? C’est bien là une très grande question qui s’étudie avec beaucoup de profondeur, toutefois l’exercice commence par avoir la conscience et la volonté animées pour y arriver. Je ne dis pas, attention, que le mal est bon, ceci est un autre discours, je dis que du mal on peut tirer du bien… Et si le mal n’existait pas !
Nous retrouvons ce discours dans notre Paracha Térouma. A son début la Paracha raconte que D’IEU appelle les Enfants d’Israël pour qu’ils offrent des matériaux nécessaires pour la construction du Tabernacle. Parmi ces éléments on trouve le ‘’tolaât chani’’ (25-4). De quoi s’agit-il ? Selon Rachi (Vayikra 14-4) c’est une plante avec laquelle on prépare de la teinture de couleur rouge. On l’appelle ‘’le ver de chani’’ car dans chaque graine il se trouve un ver mais c’est de la plante et non du ver qu’on obtient la couleur. Opinion soutenue par le Rambam (Para Adouma 3-2) et Rabénou Béh’ayé (chémot 25-3). Leur raison s’appuie sur l’enseignement du Talmud au traité Chabat 28B qui affirme qu’on utilisait uniquement des éléments ‘’cachères’’ pour ériger le Tabernacle. D’ailleurs depuis cette idée le talmud prouve que le ‘’tah’ach’’ (zèbre multi couleur) duquel on récupérait sa peau pour les tentures du Tabernacle est également un animal cachère. Selon cette opinion c’est incroyable que le tabernacle ne fût bâti qu’à partir d’éléments et animaux cachères ! Peut-on construire une bâtisse divine où se trouve la Présence et la Providence Divine lorsqu’on ne mange pas cachère ?!
Rav Zickerman (Otsar Pélaot Hatora page 664) cite cependant la voie du Talmud dans le Yérouchalmi Kilaïm 9-1 qui affirme que le ‘’tolaât chani’’ est bel et bien un ver duquel on obtient cette teinture rouge. Telle est l’opinion du Kéli Yakar, du Noda Biouda et du Malbim. Le H’atam Sofer ne cache pas son étonnement concernant la soie utilisée dans le tabernacle qui provient d’un ver ? Rappelons également que le fil bleu du tsitsit provient du h’ilazon… Il y a une idée exceptionnelle comment tirer quelque chose de positif à partir d’un élément négatif ? De toute évidence même ceux qui sont d’avis qu’il s’agit d’un végétal il porte malgré tout le nom de tolaât, le ver. Cette tolérance est riche d’enseignement et quelque peu déconcertante.
Le H’atam Sofer répond : à partir du moment où l’élément est transformé même s’il provient d’un élément pas cachère il devient permis. L’art de la transformation donne une dimension pure à l’élément non cachère et interdit. De manière plus large cela veut dire que notre exercice est de sublimer le négatif jusqu’à lui donner une dimension positive.