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Le Racha

Rav Imnaouel Mergui

Dans le livre de Béréchit la Tora nous parle de la vie des Grands Hommes, les Tsadikim, de notre histoire, comme Avraham, Yitsh’ak, Yaâkov, desquels on ne doit pas manquer de s’inspirer pour calquer notre vie sur la leur. Mais en même temps la Tora ne manque pas de nous parler également des hommes mauvais, les réchâim, comme Yichmâël, Esav, Lavan, desquels on doit apprendre ce qu’il ne faut pas faire. Dans le Talmud et les Midrachim le concept de râchâ – impie est largement traité. Nos Maîtres, de mémoire bénie, veulent nous apprendre à ne pas être un rachâ. La rectitude de l’homme ne s’apprend pas seul, elle ne s’invente pas, et on ne peut la trouver ailleurs que dans les paroles de nos Maîtres. C’est dire d’emblée que celui qui ne s’est pas penché sur les enseignements de nos Maîtres pour définir ce qu’est le rachâ il est de facto un impie ! Par définition première le rachâ est celui qui ne se tourne pas vers les enseignements qui nous définissent ce qu’est le rachâ, de par la logique même on comprend facilement que refouler les doctrines traitant de l’impie est en soi une forme d’impiété. De cette manière, celui qui croit être un juste sans se référer aux paroles des Sages va définir l’impie par ses propres moyens et va inévitablement se croire un juste, sa définition est caduque puisqu’il ne pourra se condamner donc il verra l’impiété chez les autres et non chez lui-même. C’est le deuxième point définissant l’impie : celui qui se croit juste et voit l’autre comme un rachâ. Le premier pas vers la correction de soi, celle qui conduira l’homme jusqu’au niveau de tsadik, est le courage de ‘’s’en prendre plein la tête’’, cette authenticité vis-à-vis de soi et vis-à-vis des autres. Aujourd’hui on vie un grand laxisme dans ce domaine, au nom de la tolérance on ne condamne plus et on accepte tout le monde. Cette philosophie a son avantage mais elle a également son tort : celui de laisser l’autre dans l’erreur. La tolérance c’est accepter l’erreur de l’autre dans le sens de lui laisser le temps de la corriger mais c’est en aucun cas la permissivité de son erreur ! Mais encore une fois, le but du présent article n’est pas de condamner l’autre mais plutôt de se dévoiler soi même en face d’un miroir pour constater ses propres défauts.

Je citerai une liste non exhaustive de quelques enseignements de nos Maîtres à propos du rachâ :

La responsabilité du rachâ

Chabat 33b « lorsqu’ils se trouvent des tsadikim dans la génération ils meurent à cause de la faute de leur génération, et s’il n’y a pas de tsadikim se sont les jeunes enfants qui meurent ».

Cette sentence grave dite à l’égard du fauteur a pour but de responsabiliser le rachâ de ses faits. Effectivement on entend souvent dire ‘’je fais ma vie et je vis comme je l’entends’’. Ce détachement de soi des autres est insupportable et surtout incorrecte, c’est une méconnaissance des autres et surtout un oubli de soi. On ne peut se déresponsabiliser de ses faits par le simple argument que ce que je fais n’a pas d’effet sur les autres. Vivre sans conséquences pour les autres est la gravité des choix du rachâ. Les tsadikim et les enfants morflent pour le rachâ !…

L’entêtement du rachâ

Erouvin 19a « les impies ne font pas téchouva même devant la porte de l’enfer ».

L’impie est condamné dans son impiété parce qu’il se condamne lui-même. Alors qu’il se trouve face au monde de la vérité il ne rebrousse pas chemin, il s’enfonce dans son mal. Il y a des gens comme ça qui sont insensibles à tout argument de Tora, quoi qu’on leur dise ils repoussent. Je me rappelle d’une discussion que j’avais eue avec un jeune homme qui ne faisait pas Chabat avant même d’avoir parler avec lui il me dit ‘’de toute les façons vous perdez votre temps, je ne ferais jamais Chabat’’. Le point fort de cet enseignement talmudique veut que l’enfer, la géhenne, n’a pas été conçu pour que les impies s’y trouvent et paient de leur erreur, mais sa conception a un autre objectif, celui de rappeler le rachâ à l’ordre. Le rachâ arrive devant le guéhinom et on lui laisse deux possibilités, ou bien il reconnaît ses erreurs et décide dorénavant de revenir vers le droit chemin, ou bien il s’entête et acquiert un petit voyage dans l’enfer. S’il s’y trouve, c’est le produit de son propre choix. On dira donc que le rachâ est celui qui s’entête dans son système et n’a pas le courage de corriger son état, je dirais même plus : il n’a pas le courage d’analyser ses choix. Il n’a pas la volonté d’assumer ses choix.

Le prétexte du rachâ

Yoma 35b « lorsque le rachâ sera présenté devant D’IEU pour être jugé on le questionnera : pourquoi n’as-tu pas étudié la Tora ? S’il prétexte : j’étais très beau et mon yetser m’a perturbé ! On lui rétorquera : étais-tu plus beau que Yossef ?! Voilà que la femme de son patron le sollicitait tous les matins pour fauter et Yossef ne s’est pas laissé entraîner à la faute ».

Prétexter qu’on a du yetser hara nous aurait paru légitime, ce yetser hara qui nous pourrit la vie. Et pourtant le rachâ fait du yetser hara le prétexte de ses torts. Pourquoi est-ce une impiété que de dire qu’on a flanché à cause du yetser hara ? Le rachâ se cache derrière son yetser hara pour approuver ses torts. Il aurait dû dire j’ai tout essayé et j’ai failli. Ne pas essayer de se corriger sous prétexte qu’on a du yetser hara est la caractéristique propre du rachâ. Preuve en est : Yossef. Cette accusation envers le rachâ de prendre pour exemple Yossef est quelque peu surprenante, attend-on de chaque rachâ d’être à la hauteur de ce grand tsadik ? Oui ! Pourquoi pas ! Il est clair que si le rachâ n’essaie rien il n’aboutira à rien. Se dire petit et impossible d’atteindre des niveaux grandioses est ce qui conduit l’homme au vice et c’est ce qui fait de lui un rachâ. Le rachâ n’essaie même pas de sortir de son mal.

Le discours du rachâ

Baba Métsiâ 87a « les impies parlent beaucoup et ne font rien ».

La parole est par excellence le meilleur moyen de distinguer la qualité de l’homme. Cette parole qui est propre à l’homme est utilisée par le rachâ à mauvais escient. Il séduit les foules par ses mots mais ne crée que des maux. La promesse est un moyen de trouver confiance auprès d’autrui, le rachâ trahit l’autre par sa parole. Il ne fait rien de ce qu’il dit, il y a donc un décalage entre son discours et son faire. C’est le propre même du rachâ : émettre de belles paroles et ne pas les mettre en pratique. Dire sans faire.

Le geste du rachâ

Sanhédrin 58b « celui qui lève la main sur autrui même s’il ne l’a pas frappé est appelé rachâ ».

Ce passage m’a toujours surpris, on traite là d’une personne qui lève la main sur autrui (cet autrui inclut également le conjoint homme ou femme, les enfants ou toute autre personne) et finalement il ne le frappe pas, il se retient et pourtant il est appelé rachâ ! Ceci parce qu’il ne suffit pas de se retenir de frapper il ne faut même pas lever la main. Lever la main sur autrui est déjà un tort qu’on peut causer à l’autre on lui montre par le geste une certaine supériorité qui impose à l’autre une peur injustifiée. Si on doit jouer son rôle de supériorité, quand cela est un devoir…, ce n’est pas en apeurant l’autre qu’on pourra jouer son rôle correctement. Autorité n’est pas synonyme de supériorité et de dictature ! Le rachâ est donc celui qui abuse de son pouvoir.

La Tora du rachâ

Avot  IV-7 « gass libo béhoraha  –  rachâ ;  celui qui  s’enorgueillit  dans l’enseignement est un méchant ».

De quoi s’agit-il exactement ? Rappelons certains commentaires. Selon Rabénou Yona il s’agit de celui qui dicte la halah’a – la loi et est certain de ne point se tromper. Il dicte la halah’a sans crainte, rajoute Rambam. Il juge sans approfondir suffisamment, selon Barténoura. Il se considère pour un grand en Tora et s’autorise de traiter de cas dont il ne maîtrise pas tous les tenants et aboutissants, explique Tossfot Yom Tov. Il pense qu’il est intouchable et que nul ne pourra l’atteindre, souligne Rav H’aim de Volosyn. Il est appelé rachâ parce qu’il fera subir des conséquences graves et nuisibles à ceux qui suivent ses décisions et ses conclusions halah’iques, note Rav Ovadya Yossef.

L’idée qui ressort de tous ces commentaires veut qu’il s’agit là d’un homme qui a étudié la Tora mais celle-ci est incomplète et inanimée de vertus et qualités nécessaires pour occuper le poste de ‘’décisionnaire halah’ique’’, il véhicule une Tora extrêmement dangereuse puisqu’incomplète et incorrecte. Il s’octroie le droit de dicter la halah’a mais fait des ravages et des carnages. Le Talmud condamne en plusieurs endroits les Maîtres incompétents de véhiculer des idées erronées au nom de la Tora. Quel qu’en soit le domaine ceux qui le suivent seront trompés. Il abuse de la naïveté des gens. Il trompe D’IEU et les hommes. Il ‘’se’’ trompe.

Le rachâ est donc celui qui véhicule une image ‘’toraïque’’ erronée et trompeuse de sa personne. Il ment au nom de la Tora.

Tous les matins nous récitons une prière instituée par le Grand aître Rabi Yéhouda Hanassi, citée au traité Bérah’ot 16b (patah’ éliyahou pge 4) : “qu’il soit Ta volonté, Hachem notre D’IEU et D’IEU de nos Pères, de nous épargner aujourd’hui et tous les jours des gens arrogants, des hommes mauvais, du mauvais yetser, du mauvais ami, du mauvais voisin, d’une mauvaise rencontre, du mauvais œil, et de la mauvaise bouche, etc…, des mauvaises maladies, et du mauvais sort etc… “.

Cette prière est extraordinaire, on demande à D’IEU de nous ménager du mal sous toutes ses formes possibles et inimaginables. L’homme n’aime pas le râ- le mal, mais seul il ne peut s’en secourir. Nous avons traité ici de quelques points traitant du rachâ, mais en réalité dans les textes talmudiques et midrachiques il y en a des milliers. Qui ne veut pas être propre de toute impiété ?! Preuve en est c’est que l’impiété de l’autre m’insupporte à tel point que je demande à D’IEU de m’éloigner de cet autre mauvais. Mais l’homme veut être méchant sans subir la méchanceté de l’autre. C’est un peu ça le méchant : celui qui impose un copyright sur le mal et le vice. Comme si lui seul avait le droit d’en abuser. En réalité demander à D’IEU de nous épargner du mal sous toutes ses formes soient-elles c’est lui demander avant tout de nous aider à ne pas être soi même mauvais. En quelque sorte lorsque l’autre prie pour être sauvé du rachâ j’espère qu’il ne pense pas à moi ! C’est le sens de cette prière.

On retrouve une prière consacrée à l’éloignement du rachâ ou plus exactement à sa disparition afin qu’il cause plus aucun tort à quiconque. C’est la prière récitée dans la âmida trois fois par jour ‘’laminim vélamalchinim’’ – ‘’que les délateurs et les hérétiques ne trouvent aucun secours, que tous les méchants disparaissent, que tous Tes ennemis et ceux qui Te haïssent soient retranchés etc… ». Le Rambam dans le deuxième chapitre des Hilh’ot Téfila écrit que c’est la bénédiction la plus importante de la âmida !!!…

Le peuple d’Israël a une image plus noble à vivre et à véhiculer que celle identique aux hommes comme Lavan ou Esav et leur bande. Tout au long du livre de Béréchit la Tora nous cite des hommes de qualités diamétralement opposées d’un coté les tsadikim et de l’autre les réchaîm, à l’homme de choisir son équipe. Il n’existe pas d’équipe intermédiaire, l’homme est tsadik ou rachâ – comme dit Pirké Avot “élève de Avraham notre Père ou élève de Bilâm l’impie “. Fasse D’IEU que tout Israël reviennent à la raison pour que se réalise en nous le verset « véâmèh’e koulam tsadikim – et ton peuple sont tous des tsadikim ».

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