Rav Imanouel Mergui
Dans le livre de Vayikra chapitre 19 verset 28 la Tora dit ‘’ouktovète kaâkâ lo titénou bah’èm ani achem’’. Rachi traduit ‘’vous n’inscrirez pas de tatouage sur vous, c’est une inscription gravée pour toujours sur le corps’’. D’emblée il faut savoir que toute explication qu’on peut donner sur une telle interdiction ne serait en aucun cas la définition profonde de l’ordre divin. Quelle que soit la raison de l’interdit cette pratique est interdite, telle est la volonté de D’IEU qu’on n’inscrive pas sur son corps de tatouage.
Le Even Ezra rapporte que certains relient cet interdit avec ce qui est écrit précédemment dans le verset ‘’véseret lanefech lo titénou bivsarh’em’’ c’est l’interdiction de ne point se faire des entailles sur le corps en raison d’un décès. La Tora ne veut pas qu’on abîme son corps lors de funérailles pour exprimer sa peine. Que ça soit sous forme de blessure ou de tatouage. Il y a là un us mortuaire duquel la Tora veut nous éloigner. Même en ces moments délicats de la vie l’homme a des commandements à respecter notamment l’interdit du tatouage. De toute évidence il est interdit de se tatouer même si cela ne s’inscrit pas dans un contexte de décès. La Tora n’autorise en aucun cas de se tatouer pour quel que motif soit-il. Peut-être qu’elle l’inscrit dans ce contexte pour nous dire que le tatouage a quelque chose de morbide en soi !…
Le H’inouh’ (253) propose d’expliquer cet interdit comme étant le moyen de ne point se comporter tel que le font les peuples et les idolâtres, le tatouage était à moyen d’inscrire sur soi l’appartenance à tel ou tel autre culte. Dans un premier temps cette lecture veut que l’interdiction du tatouage s’inscrive dans les multiples interdictions et commandements de la Tora de nous éloigner des idolâtres et des peuples de façon plus généralisée. En élargissant cette thèse on peut distinguer que les peuples ont besoin d’inscrire sur le corps leur appartenance à tel culte, alors que la Tora n’attend pas de l’homme une quelconque inscription sur le corps. De toute évidence on peut s’interroger : voilà que la Tora nous ordonne la brit mila (circoncision) qui est une mitsva qui s’imprime sur le corps, quelle différence y-at-il d’avec le tatouage ? Il y a bien là une différence majeure, la brit mila n’est pas qu’une inscription mais un acte posé sur l’organe génital du garçon, le tatouage est un dessin ou une écriture quelconque qui dit que le porteur du tatouage appartient à tel culte ; je veux dire que la différence est que le juif ne marche pas avec des écrits mais des actes concrets. C’est le comportement du corps qui importe plus que d’écrire et porter l’écriture. Ce n’est pas en disant ou en portant un slogan qu’on est, on n’est pas obligatoirement ce qu’on dit. On est ce qu’on fait ! La brit mila c’est adopter un comportement physique qui témoignera mon attachement au divin. C’est sans doute la raison pour laquelle les nations ont souvent dérangées Israël en interdisant la brit mila, puisque cette mitsva marque bien la différence physique et idéologique d’entre Israël et les nations. D’ailleurs Israël n’a pas de slogan, ni d’hymne, ou de drapeau commun pour tout le peuple ! C’est chaque tribu, chaque individu qui se marque de la Tora en la pratiquant. La Tora ne se vie pas par des mots et des écritures mais par des faits concrets… Les mots ne sont pas la preuve ultime d’une conviction !
D’ailleurs le verset qui interdit le tatouage se termine par la formule ‘’ani achem’’ – Je suis D’IEU. Comme si le tatouage ne reconnaissait pas D’IEU. Le divin ne supporte pas le tatouage. Il y a une opposition entre le tatouage et D’IEU. Le tatouage c’est emprisonné une idée par un élément extérieur qui se rajoute au corps, je veux dire l’encre. La brit mila c’est un acte qui s’inscrit sur le corps en ôtant une partie du corps. Le divin veut qu’on réduise le corps et qu’on le soumette à une volonté suprême celle de D’IEU. Le tatouage ne
peut exister seulement si on rajoute sur le corps, c’est inscrire à l’intérieur du corps avec un corps étranger
– c’est le propre même de l’idolâtrie, introduire l’étrangeté en soi… La Tora c’est faire rayonner l’intériorité en ôtant les écrans qui empêchent de laisser reluire cette intériorité. L’idolâtrie c’est prendre des éléments étrangers pour donner un sens aux choses, c’est encrer en soi quelque chose qui ne vient pas du moi ! (Rav Zikerman rapporte dans son Otsar Pélaot Hatora que Esav avait tatoué sur sa hanche la forme d’un serpent, le H’atam Sofer parachat Vayiclah’ explique que là est toute la différence entre Yaakov et Esav puisque le premier avait respecté la brit mila alors que le second par son tatouage à cet endroit voulu cacher sa mila !)
Le Or Hah’aïm Hakadoch fait remarquer que la Tora ne dit pas « vous n’inscrirez pas de tatouage sur votre chair », elle dit plutôt « vous n’inscrirez pas de tatouage en vous – bah’èm », cela laisse entendre que l’interdiction du tatouage laisse des traces même sur l’intériorité de l’être ! Etant donné que le tatouage n’est pas fait dans un contexte de drame vécu mais de plein gré en tout âme et conscience l’homme décide de se tatouer cela prouve qu’intérieurement dans son être la personne qui se tatoue a une mauvaise
estime des valeurs, explique Rav Pumrantz (Oz Véadar note 465) ; on peut dire encore que la personne qui
se tatoue a mauvaise estime de soi, elle ne se plait pas dans son corps elle veut améliorer son état… (grand débat…)
Voici quelques lois concernant le tatouage :
Au traité Makot 21A la Michna qui traite de l’interdiction du tatouage rapporte une discussion, selon Tana Kama il est interdit de graver sur son corps toute inscription ou dessin de quelque encre soit-elle, Rabi Chimon Ben Yéouda au nom de Rabi Chimon pense que l’interdit du tatouage concerne uniquement l’interdiction de tatouer un nom de avoda zara !
Dans les décisionnaires la discussion persiste puisque si la majorité des Richonim stipulent la halah’a selon Tana Kama et telle est l’opinion du Choulh’an Arouh’ Y’’D 180, l’opinion du Rif est de suivre l’avis de Rabi Chimon (décision surprenante de suivre l’opinion de Rabi Chimon face à Tana Kama, tel que s’étonne le Minh’at H’inouh’).
Autre opinion surprenante, Rabénou Béh’ayé dit que l’interdiction de se tatouer n’est dite seulement si la personne se tatoue un nom divin (opinion très difficile à admettre, dit Rav Ovadya Yossef zal, puisque cela contredit le Talmud. Rav Zikerman rapporte dans son Otsar Pélaot Hatora que l’initiateur du christianisme avait tatoué sur son corps le nom divin c’est ainsi que Rabénou Efraïm explique le verset « ne tatouez pas sur votre chair l’inscription Je suis D’IEU »).
Comme nous l’avons dit l’interdiction de se tatouer comprend l’interdiction de graver sur le corps toute inscription ou dessin soient-ils. Néanmoins il est important de savoir qu’il existe des divergences d’opinion sur ce point, comme nous le verrons.
Rachi dans son commentaire sur Vayikra 19-28 note que l’interdit du tatouage ne concerne qu’un tatouage qui est ‘’léolam’’ perpétuel.
Au vu de toutes ces divergences les décisionnaires s’interrogent de savoir si le maquillage permanent est autorisé selon la halah’a (précisons que le maquillage permanent est un tatouage qui dure quelques mois et n’est pas définitif tel le tatouage classique) ?
Notre Maître Rav Ovadya Yossef (Taharat Habayit volume III page 29) écrit : le maquillage permanent 1) ne dure qu’un temps défini et n’est pas pour toujours, 2) il n’y a pas de formes de lettres, 3) ce n’est pas une
inscription de avoda zara – si ce maquillage est fait dans un contexte de cacher un défaut (suite à un
accident ou une opération par exemple) la chose est permise (décision suivie par Rav Batsri, Rav Nevantsal et d’autres). Si le maquillage permanent est fait uniquement pour l’embellissement de soi il convient de s’en abstenir mais on ne peut empêcher les femmes qui le font. Dans tous les cas le tatouage ne constitue pas un écran pour se tremper au mikwé.
Toutefois Rav H. Kanievski chalita et Rav Wozner zal interdisent le maquillage permanent midérabanan (Charga Haméir, rapporté dans Métivta Makot Aliba Déhilh’éta page 32)
Ecrire sur sa main un numéro de téléphone : de toute évidence l’interdiction de se tatouer ne concerne uniquement l’entaille faite dans la chaire qui est remplie par de l’encre ; dans notre cas c’est une écriture sur la peau qui ne comporte pas d’entaille, par conséquent il n’est pas interdit par la Tora d’écrire sur sa peau au stylo. Cependant Rav H’ayim Kanievski chalita (Patcheguen Haktav) rapporte que selon certains décisionnaires (Tossfot, Bet Chemouel, H’atam Sofer et d’autres) il est un interdit selon loi Rabbinnique (Midérabanan) d’agir ainsi !
Nichmat Avraham (volume V page 68) rapporte l’opinion de Rav C. Z. Auerbach zal qui ne voit aucun interdit d’inscrire au stylo sur sa chair puisqu’on a l’intention de vite l’effacer, Rav Wozner zal permet également d’écrire au stylo sur la peau.
Une maman a tatoué sur la main de son fils (qu’elle a eu d’une union avec un non juif) une maguen david afin qu’il sache qu’il est juif et n’épouse pas une non juive. La question s’est posée si dans ce cas le tatouage est autorisé ? Le génie Rav Yitsh’ak Zilberstein chalita (Alénou Léchabéah’ volume III page 348) conclut que vu la gravité d’épouser une non juive, la mère avait le droit de tatouer de la sorte son fils ! (Rav Zikerman dans son Otsar Pélaot Hatora rapporte au nom du Tanh’ouma que lorsque Moché avait des difficultés de construire le Chandelier alors D’IEU lui a tatoué la forme de celui-ci sur la main de Moché ; (peut-être que pour une mitsva est-il autorisé de se tatouer ?!) Rav H’aïm Kanievski chalita dit que ce tatouage n’était pas définitif et qu’après avoir construit le Chandelier le tatouage avait disparu).
Lorsqu’un homme a retrouvé le chemin de la Tora et se mit à pratiquer les commandements de la Tora il fut confronté à la question suivante : dans sa vie de juif non pratiquant il fit un tatouage d’une femme impudique sur son bras gauche, maintenant qu’il a fait téchouva il s’interroge s’il peut mettre les téfilin ? Rav Yitsh’ak Weiss Minh’at Yitsh’ak (III-11) dit qu’il mettra les téfilin comme tout le monde au bras gauche, le tatouage ne fait pas écran entre les téfilin et le bras et, bien évidemment, au moment de réciter la bénédiction il couvrira le tatouage ; s’il peut, il fera le nécessaire pour ôter le tatouage.
Rav Zikerman Otsar Pélaot Hatora écrit : une personne qui s’est tatouée alors que c’est interdit a-t-elle le devoir de se faire enlever le tatouage ? Rav H’aïm Kanievski est d’avis qu’il n’y a aucun devoir de l’enlever. Telle est également l’opinion de Rav C.Z. Auerbach zal. Le Chevet Hakéati dit que les tatoués de la Shoa n’ont pas ôté leur tatouage ! Rav Yitsh’ak Zilberstein (H’achouké H’emed Pésah’im 75B) écrit qu’ôter le tatouage ne répare pas la faute rétroactivement, de ce fait se faire une blessure pour rien c’est également un interdit d’autant plus que la faute du tatouage a déjà était commise. Rav Elyachiv zal pense qu’il convient d’ôter un tatouage ainsi il réduit l’abomination qu’il porte sur son corps, il n’y a pas ici l’interdiction de se blesser puisque c’est fait dans un but positif et non dans un but de nuire au corps que D’IEU nous a offert.