Rav Imanouël Mergui
La veille de Roch Hachana est le moment le plus propice pour traiter de ce sujet si important et si passionnant. Effectivement nous ouvrons les fêtes de Roch Hachana par un chant d’une grande profondeur « ah’ot kétana ». Or le refrain énonce « tih’lé chana vékilélotéha – que l’année s’achève ainsi que ses malédictions ». Et la dernière strophe dit « tah’èle chana oubirh’otéha – que l’année commence ainsi que ses bénédictions ». C’est le souci de nos premières prières pour le Grand Jour du Jugement ouvrant la nouvelle année : la fin des malédictions et le début des bénédictions. C’est donc le moment où jamais d’en parler ! Effectivement commencer une nouvelle année sans voir les malédictions disparaître et les bénédictions apparaître ne nous paraît pas de grand intérêt. On prie D’IEU pour obtenir un changement radical. On annonce, en tout cas on espère l’éradication des malédictions et l’apparition des bénédictions ! D’ailleurs au traité Méguila 31b le Talmud enseigne que le prophète Ezra a institué qu’on lise à la communauté la paracha de Ki Tavo comprenant quatre-vingt-dix-huit malédictions afin que « l’année s’achève ainsi que ses malédictions ». Cette institution prouve ô combien s’en est un souci même pour les grands hommes tel Ezra.
Lorsqu’on traite du sujet de la Bénédiction il me semble qu’un des sujets les plus sensibles c’est la Tsédaka. Je m’explique : une des lois les plus difficiles pour l’homme d’honorer correctement et pleinement est bel et bien cette injonction de la Tora de donner de son argent au nécessiteux. On a beaucoup de mal à lâcher son argent pour l’autre, pour l’étranger, certains ont même du mal à aider leur proche parent. On pourrait analyser ce qui nous retient de respecter honorablement cette mitsva de la Tora, mais, je pense que cela est inutile. La vraie raison pour laquelle on ne donne pas ou peu d’argent c’est tout simplement parce qu’on est animé d’une avarice chronique. J’espère que le texte Talmudique qui suit nous permettra de remédier à ce défaut. Au traité Baba Batra 9b le Talmud enseigne « tout celui qui donne une prouta (plus petite pièce de monnaie correspondante à deux centiles d’euro) au pauvre est bénit par six bénédictions ! » (le Porat yossef explique que dans certains cas on est bénit de huit bénédictions). Faites le calcul pour un euro c’est donc 50×6 bénédictions = 300 bénédictions. 10 euro = 3000 bénédictions. 100 euro = 30000 bénédictions, etc…. Le Béh’or Chor explique que les six bénédictions pour celui qui donne une prouta au pauvre correspondent aux six commandements passifs – lo taâssé – prononcés par la Tora à l’égard de celui qui se retient de donner une pérouta au pauvre. Effectivement le Rambam dans ses Hlh’ot Matnot Aniyim énumère six fautes transgressées pour celui qui ne donne pas de la Tsédaka. Par conséquent, en donnant la Tsédaka on a fait l’économie de ces six fautes et on reçoit un salaire pour chacune de ces fautes évitées.
Ce discours n’explique pas cependant le rapport qu’il y entre Roch Hachana et la Tsédaka. En somme, jusqu’ici je dis qu’à Roch Hachana nous prions pour la bénédiction et qu’une façon d’obtenir la bénédiction c’est la tsédaka. Mais reste à expliquer pourquoi précisément avoir choisi la Tsédaka pour obtenir la bénédiction au début de l’année ?
Je répondrais à cette question en deux temps. Tout d’abord en ce jour de Roch Hachana – jour où l’homme est jugé, il y a un danger extrême. Oui je suis jugé donc je me penche davantage sur moi-même et ce dans mon rapport avec D’IEU, et le danger est là car se pencher sur son avenir conduit l’homme à oublier l’autre et à le négliger. Dans nos prières et dans notre travail de ce premier jour de l’année où nous nous concentrons sur nous-même nous devons être vigilant de ne point offenser l’autre d’aucune manière. Le remède à ce danger est bel et bien la Tsédaka. Se soucier de soi n’autorise pas l’homme à mettre l’autre sur la touche. Les Maîtres du Moussar vont encore plus loin lorsqu’ils développent l’idée qui veut que nous pourrons espérer un jugement favorable à notre égard à Roch Hachana seulement si nous nous penchons vers l’autre et quel engagement nous prenons vis-à-vis de l’autre !!! Par exemple et notamment mon Grand Maître Rav Chlomo Wolbe ztsoukal rapporte un conseil du Maître Rav Israël Salanter ztsl qui annonce que le seul conseil pour sortir méritant à Roch Hachana est de s’engager vis-à-vis des autres !!! (voir Alé Chour II page 417 à 421). C’est dire que la Tsédaka ne remédie pas uniquement au danger de se pencher uniquement vers soi, la chose va plus loin : la Tsédaka est l’enjeu même de Roch Hachana. Par conséquent ouvrir l’année avec ce chant qui implore la bénédiction divine veut dire, selon mon discours, que nous nous engageons à prendre plus au sérieux le souci de l’autre et, à notre échelle, faire le maximum pour l’aider de quelque façon soit-elle.
En deuxième temps, et en poursuivant l’idée jusqu’ici développée, arrêtons-nous sur un passage du Talmud cité au traité Roch Hachana 16b « Rabi Yitsh’ak a dit : la Tsédaka déchire le jugement énoncé sur l’homme ». La Tsédaka a non seulement cette faculté de faire basculer le jugement dans le sens favorable mais, plus encore, elle a également la faculté d’annuler le jugement défavorable déjà décrété à l’égard de l’homme. C’est dire qu’avec la Tsédaka on peut déjouer le décret divin et le changer ! Le ‘’vrai’ et ‘’ultime’’ décret est celui dont l’homme en sera l’initiateur et ce à travers la Tsédaka qu’il fera. Pour prouver ses dires Rabi Yitsh’ak cite le verset énoncé par le roi Chlomo dans Michleï « la tsédaka sauve de la mort ! ». C’est dire que la Tsédaka change le pire des décrets celui de la mort ! Ceci est rapporté dans le Choulh’an Arouh’ Y’’D 247-4 qui s’exprime en ces termes « la Tsédaka repousse les décrets les plus durs, et préserve de la mort dans les périodes de famine ». Cela veut dire que même si les conditions ‘’naturelles’’ doivent conduire l’homme à la mort, par le biais de la Tsédaka il en sera épargné. Le Chah’ (2) rajoute : la tsédaka préserve de tous types de mort et rallonge la vie. Mais quelle est la vertu que comporte la Tsédaka pour qu’elle puisse changer le décret divin ? Le Maharal (H’idouché Agadot) explique que la Tsédaka a pour vertu de transformer l’homme dans son essence jusqu’à devenir un autre homme, ce faisant le décret jusqu’ici prononcé à son égard n’est plus adapté puisqu’il est devenu un autre homme, il faudra donc réviser son jugement. La Tsédaka change de nombreuses choses chez l’homme par exemple le rapport étroit qu’il a avec son argent. Pour suivre notre discours on dira que la Tsédaka permet à l’homme de changer la vision qu’il a de lui-même, je veux dire que jusqu’ici l’homme se souciait de lui-même allant parfois jusqu’à négliger l’autre. Désormais par la Tsédaka il va apprendre à sortir de l’emprisonnement de son monde et va se resituer dans un univers plus large. En réalité le regard qu’il avait sur lui-même était erroné puisqu’il occultait les autres. Il n’aura donc pas seulement un nouveau regard sur le monde incluant les autres, il aura surtout un nouveau et juste regard sur lui-même : celui de se regarder soi-même entourer des autres…