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Je suis pourri

Rav Imanouël Mergui

Lorsqu’on se regarde à soi-même – exercice en soi non évident puisque nous avons plus tendance à regarder l’autre que soi ! – on se note et on avance dans la vie avec une appréciation qu’on a de soi. Certains développeront davantage le regard positif qu’ils ont sur eux-mêmes et d’autres se sera davantage le regard négatif qu’ils mettront en avant. D’une façon ou d’une autre on est tous conscient du positif comme du négatif qui nous anime. La prise de conscience du négatif qui est en nous (comme celui du positif d’ailleurs) connaît ses limites sinon il serait plus que néfaste. A ce propos je voudrais étudier avec vous un enseignement cité dans les Pirké Avot chapitre 2 michna 13 « Rabi Chimon dit : al téhi rachâ bifné atsméh’a – ne sois pas mauvais devant toi-même ! ».

Rachi : « ne fais pas une chose aujourd’hui qui te rendra méprisable à tes propres yeux demain, lorsque tu te demanderas : Pourquoi ai-je commis cette méchanceté ? ». C’est une réflexion que l’homme doit avoir avant de fauter. Cette pensée peut avoir l’avantage de le retenir de commettre une faute puisque l’homme veut en général avoir une belle image de lui-même. Demain tu regretteras d’avoir commis une faute la veille. C’est penser avant de fauter de ce qu’on pensera de soi après la faute. C’est également un sentiment de regret envers soi – on s’en veut parfois de faire ce qu’on fait.Rambam : « si un homme se considère comme mauvais, se dévoyer ne sera plus grave à ses yeux ». Cette idée est très forte, si l’homme a une mauvaise estime de lui-même c’est cela même qui le conduira à la faute ! Selon cette idée la réflexion proposée ici dans la michna c’est une réflexion qui se pense avant la faute, on est en amont de la faute. Toute faute commise découle d’un sentiment d’infériorité et de nullité de soi. Intéressant est de noter que lorsque cela nous arrange on se sent nul et envers les autres on se sent assez supérieur… On ne vit pas dans une cohérence de soi.

Rabénou Yona : « si l’homme se considère impie il se fermera les portes du repentir, il se retire toute chance de faire téchouva, et lorsqu’une faute reviendra vers lui il la commettra à nouveau puisqu’il pensera qu’elle est moins grave que la précédente ». Se considérer nul c’est fauter davantage et c’est ne jamais revenir sur sa faute !

Maharal Dereh’ H’aïm : « d’ordinaire le terme ‘’racha – impie’’ est employé lorsqu’un homme fait du mal à autrui, l’auteur l’a employé ici pour rappeler à l’homme que même vis-à-vis de lui-même il ne doit pas être un racha ». L’homme pourrait penser que l’essentiel c’est de s’abstenir de faire du mal aux autres, mais cela n’est pas suffisant l’homme doit être bon même envers lui-même ! Il ne suffit pas de montrer une belle image de soi aux autres, il faut être bon envers soi-même. « Même si les hommes ignorent ton impiété, D’IEU ne l’ignore pas ». Montrer une belle image de soi sans être bon véritablement au plus profond de son être n’est pas suffisant pour amadouer D’IEU ! D’IEU connaît la vraie valeur de l’homme même lorsqu’elle n’est pas reconnue des hommes ; comme le rappelle Rav Hertman dans son commentaire sur le Maharal c’est ce qu’a dit Rabi Akiva à Rabi Chimon « il te suffit que moi et ton créateur connaissons ta vraie valeur » (Yérouchalmi Sanhédrin 1-2). . Paradoxalement nous préférons être bien vus par les hommes plutôt que d’être bien vu par D’IEU. En fait l’homme est au carrefour des regards : le sien, celui des autres et celui de D’IEU…

Barténoura : « ne sois pas un impie en cela où tu te retires des autres pour ne te tourner seulement vers toi-même ». Lorsque l’homme pense qu’il se suffit à lui-même et n’a besoin de personne alors il est voué à l’échec. Les autres sont un rempart à la faute. Se retirer de la communauté pour ne se tourner seulement vers soi-même est l’origine de tous les délits.

H’atam Sofer : « ne dis pas ‘’je suis un rachâ, je n’ai pas besoin de m’investir dans la Tora’’ ». Lorsque l’homme se considère mauvais il s’investira moins dans l’étude de la Tora. Or c’est une erreur fondamentale d’abord parce que le fait même de se considérer mauvais conduit l’homme à s’éloigner du bien en général et de l’étude de la Tora en particulier, et aussi parce que la Tora a justement la faculté de corriger l’homme de son impiété. Si tu es mauvais c’est justement là que tu as besoin davantage de la Tora. Être mauvais n’est pas un prétexte pour s’éloigner de la Tora, bien au contraire c’est une raison pour s’en approcher davantage !…

Rav Hirch : « ne crois pas que si tu fais le mal c’est parce que tu en es condamné ; mais, par tes propres moyens tu peux t’en sortir. Tu as la force de te libérer du mal qui est en toi pour t’élever vers le service divin ». Se condamner et se considérer comme étant un rachâ c’est se voiler la face en se cachant derrière un déterminisme injuste. Croire qu’on est rachâ c’est s’enfermer et s’emprisonner dans le mal sans pouvoir en sortir. Se définir comme tel c’est accusé la nature de nous avoir fait ainsi. Mais le pire est qu’on se sous-estime en occultant les énergies qui nous animent, ces énergies positives qui peuvent nous libérer de tous nos vices. Prends toi en main est la devise à retenir selon cette idée, plutôt que de te lamenter sur les autres et sur ton sort. Ne vois pas en l’autre la cause de tes erreurs. Rav I. M. Lau dans son Yah’el Israël écrit : « ne sois pas un rachâ lorsque tu te trouves seul. Effectivement l’homme a tendance à montrer aux autres une belle image de lui-même mais lorsqu’il se retrouve seul il peut commettre le pire ! L’homme doit combattre ce phénomène d’hypocrisie. Le Midrach Chemouël rappelle qu’en réalité se devrait être le contraire, l’homme doit être discret lorsqu’il fait le bien ». Mais l’homme vie davantage dans le regard des autres et leur appréciation et ainsi il s’éloigne de lui-même et s’encrasse dans son impiété. L’homme aime montrer aux autres combien il œuvre pour le bien alors qu’au fond il est pourri ; mais, ainsi il ment aux autres et il se ment à lui-même. Ne te cache pas pour fauter. Sois le même à l’extérieur qu’à l’intérieur. La richesse de commentaires proposés ici nous fait réfléchir sur la juste image que l’homme doit avoir sur lui-même. La société n’a jamais aidé l’homme à se regarder correctement pire encore elle l’éloigne de lui-même. Cependant et attention on ne peut pas remettre la faute sur les autres constamment, le juste regard sur soi et la bonne estime de soi commence justement et est tout au moins liée avec le regard qu’on a soi-même des autres : on ne peut pas exiger des autres d’avoir un bon regard sur soi si soi-même nous n’avons pas un bon regard sur eux. Et avoir un bon regard sur les autres découle du bon regard qu’on a sur soi. On ne peut pas justifier le mauvais regard sur soi parce que les autres ont un mauvais regard sur moi…