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L’ivresse

Rav Imanouel Mergui

Au traité Bérah’ot 29b il est rapporté que Eliyahou Hanavi rencontra Rav Yéhouda le frère de Rav Sala H’assida et lui dit « lo tirvé, vélo téh’éta – ne t’enivre pas ainsi tu ne fauteras point ! ». L’ivresse est donc source de la faute. Le Péta’h Enayim précise que la boisson de vin même dans un contexte de joie recommandée comme par exemple pour Chabat et les jours de fête doit être limitée ; effectivement, la boisson excessive conduit à l’ivresse qui à son tour conduit à la faute, et la joie de la mitsva n’est pas un prétexte pour se saouler puisque l’ivresse est source de faute. De quelle faute s’agit-il ?

Sanhédrin 70a. Rava disait : ne sois pas attiré par le vin, il te conduira à la mort. Rav Kahana dit : l’ivresse appauvrit. Rava dit encore : l’ivresse anéantie l’homme. Rav Oukva enseignait : tout ce qui est arrivé à Adam c’est à cause de l’ivresse, ceci suit l’avis de Rabi Méir qui pense que le fruit que Adam a consommé était la vigne, il n’y a rien comme le vin qui conduit l’homme à la tristesse ! Le vin conduit l’homme à renier D’IEU, poursuit le Talmud. Le Midrach Tanh’ouma Chémini affirme que le vin conduit à : l’idolâtrie, la débauche, le meurtre, le vol et la médisance. Parce que l’ivrogne croit que tout lui est autorisé (voir Yoma 75a et Rachi).

Mais si le vin n’a que des atouts si négatifs, pourquoi D’IEU a-t-il créé le vin ? Rav H’anan dit : le vin n’a été créé dans ce monde uniquement pour consoler les endeuillés et donner aux impies leur salaire, en se délectant avec le vin ils reçoivent le salaire des mitsvot qu’ils ont accompli dans ce monde (Rachi). En vérité il existe de nombreuses vertus concernant la boisson de vin toutefois à la condition de ne pas en arriver à l’ivresse. Le Rambam résume très bien en ces termes « le sage boit du vin en quantité nécessaire pour sa digestion. Celui qui se soule est un fauteur, il est répugnant et perd sa sagesse, si c’est devant des ignorants qu’il s’est soulé voilà qu’il profane également le nom de D’IEU… » (Déote 5-3).

L’ivresse est tellement répugnante que nos Sages enseignent que D’IEU aime ceux qui ne se soulent pas (Péssah’im 113b), il hait les érudits qui se soulent (Nida 16b) – malgré toute sa Tora l’homme est éloigné de D’IEU lorsqu’il est sous l’effet de l’alcool.

Du fait que l’ivresse est un comportement vil on va rencontrer dans la halah’a des dizaines de lois concernant l’ivrogne. Toutes ces lois veulent que l’ivrogne absent de toute lucidité épouse donc le statut de ’’choté’’ (personne libérée de conscience), ses actes sont caduques et sans aucune valeur. Voici quelques exemples. L’ivre ne peut pas prier et ne peut pas réciter le birkat hamazon. Le Cohen ivre n’a pas le droit de bénir le peuple en récitant la birkat cohanim. L’ivrogne ne peut pratiquer l’abatage rituel (chéh’ita). Un maître ne peut enseigner la halah’a s’il est en état d’ébriété. La halah’a s’interroge de savoir quel est le statut d’une personne qui s’est donné la mort alors qu’elle était ivre, ceci lui donne-t-il le statut de ‘’suicidé’’. L’ivrogne qui a marié une femme (ou la femme ivre lors du mariage) son acte est invalide. Le couple ne peut avoir d’intimité conjugale si l’un des deux est sous l’effet du vin. Un homme qui boit du vin, dépensant ainsi de l’argent, qui en arrive sous l’effet de l’alcool à frapper son épouse, celle-ci pourra se présenter au bet din pour demander le divorce. L’ivrogne qui a donné un acte de divorce à sa femme celui-ci est nul. Les démarches commerciales réalisées par un ivrogne sont sans effet. Un cohen ivre ne peut rentrer au sanctuaire… (échantillon de lois concernant le ‘’chikore – ivrogne’’ tiré de

Encyclopédia Hilh’atite Réfouite volume 6).  Il existe d’autres questions halah’iques concernant l’ivrogne : l’ivrogne qui cause un dommage à autrui doit-il rembourser les dégâts ? Dans le cas où l’ivrogne cause un dommage à autrui pendant la fête de Pourim est-il responsable de son dégât ? (voir Yabia Omer volume 5). Il est évident que tous ces passages talmudiques et de halah’a connaissent une étude plus approfondie, ce n’est là qu’un minime aperçu de ce que la Tora traite à propos de l’ivresse. Un bref aperçu qui montre combien l’ivresse est comportement honteux. Mais si nous avons vu que l’ivresse est avant tout et en soi réprimandable et entraîne les pires mœurs il y a encore quelque chose dans l’ivresse d’extrêmement grave que nous pouvons lire dans les propos du Rambam dans son Guide des Egarés Troisième partie chapitre 8, lisons le former une réunion pour prendre des boissons enivrantes doit être à tes yeux une chose plus honteuse qu’une réunion de gens nus qui, montrant toute leur nudité, satisferaient leurs besoins en plein jour et dans un même lieu. En effet, satisfaire son besoin est une chose nécessaire que l’homme n’a aucun moyen d’éviter, tandis que s’enivrer est un acte que l’homme vicieux commet de son plein gré. S’il est réputé laid de découvrir les parties honteuses, ce n’est là qu’une chose de pure convention, qui n’est pas du domaine de la raison ; mais corrompre l’intelligence et le corps est une chose réprouvée par la raison, c’est pourquoi celui qui préfère être un homme doit avoir en aversion pareille chose ».

Ne t’enivre pas afin de ne pas fauter ». Le Maharal (Nétiv Hakaas chapitre 2) explique que l’enivrement est un état propice à la faute parce l’ivresse plonge l’homme dans la ‘’corporalité’’ (gouf) qui est un détachement total et absolu du divin. C’est la raison pour laquelle la prière de l’ivrogne est abomination – parce que dans cet état il n’est que ‘’corps’’, matière synonyme de mensonge et mal ; quel sens peut avoir la prière récitée dans cet état complètement détaché du divin – explique Rav Desler zal (Mih’tav Mééliyahou volume 4 page 60). Sous l’emprise de l’alcool l’homme est soumis sans condition à commettre la faute. En réalité le vin ne crée pas un état nouveau chez l’homme, le vin va extérioriser la ’’bête’’ enfouie en l’homme – explique Rav Fridlander zal (Sifté H’aîm Midote 1 page 214). Le vrai problème de cette ‘’corporalité’’ développée chez l’ivrogne est cette volonté de mettre en exergue la matérialité de l’homme. Cette matérialité qui est une réalité voire une nécessité n’est pas la partie prépondérante de l’être humain, or l’ivrogne va vivre comme si c’était ainsi, il valorise amplement le corps.

L’ivresse vide l’homme de sa raison (Rambam) et rempli l’homme de matérialité (Maharal). L’homme devient ainsi la proie de tous les vices. Si l’homme éprouve de la haine pour qui lui veut du mal à fortiori qu’il devra haïr le vin !, écrit le Pélé Yoets.

L’ivrogne est tellement aveuglé qu’il ne voit pas l’indécence de son état. Voilà l’image que propose Rav Desler zal au nom du Saba de Kelm ztsoukal (Mih’tav Mééliyahou volume 4 page 12) : Un philosophe avait un père ivrogne, le fils usait de son discours pour expliquer à son père la honte de son état mais rien n’y faisait. Un jour le philosophe prit son père et l’amena devant un homme complètement ivre, mais voilà que le père, au lieu de constater la mocheté de l’état de cet ivrogne il s’approcha de lui et lui chuchota à l’oreille « où as-tu obtenu du si bon vin ?! ».

L’ivresse, c’est le dérèglement de tous les sens. » – Arthur Rimbaud

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