Rav Imanouel Mergui
Nous avons l’habitude de vivre la fête de pessah’ comme étant la fête de notre libération vécue dans le passé. Tous les nombreux commandements liés à la fête de Pessah’ : l’agneau pascal, la matsa, les herbes amères, la Hagada (sans oublier le nombre considérable de coutumes exprimées en cette fête) participent à cette commémoration. Cependant, s’il en est réellement ainsi une question s’impose : pourquoi tant de choses pour un souvenir ? Certes le souvenir est une notion majeure, mais nul autre système n’a instauré tant de règles pour se souvenir. Nos Sages également ne voient pas à travers la fête de Pessah’ qu’un souvenir du passé, ou encore l’état d’un homme libre vivant sa liberté. Qui plus est en exil (même en Erets Israël aujourd’hui), pouvons nous vivre ‘’librement’’ ?! Nous disons dans la Hagada « l’homme a le devoir de se voir lui-même sorti d’Egypte ». Il y a dans cette assertion deux points intéressants : 1) cela veut dire que nous devons VIVRE notre liberté, donc de SE LIBÉRER, c’est un exercice actif plutôt que passif, 2) cette liberté active doit être visible elle est donc transformatrice – après Pessah’ on est complètement différent, il y a quelque chose en nous de manifestement libéré qui fait de nous un être ‘’se libérant’’.
Selon ce discours toutes les lois liées à la fête de Pessah’ participent activement à nous rendre des êtres libres. Il faudrait analyser chacune de ces lois pour le distinguer clairement. Arrêtons-nous sur l’une d’elles : le récit de la Hagada du Seder.
Le premier passage de la Hagada dit « kol dih’fin yété véyéh’ol » – que tout celui qui est affamé vienne manger. Intéressant est de constater que la Hagada ouvre par la mitsva de Tsédaka ! Effectivement, cela s’impose : n’est-ce pas là un comportement concret de la part d’une personne étant libre que d’inviter à sa table tout nécessiteux ?! L’avare n’est pas décontracté…
Ensuite nous poursuivons la Hagada par le passage exprimant notre ancienne servitude, celui-ci dit « âvadim hayinou léparô bémitsraïm » – nous étions esclaves au Pharaon en Egypte. D’ordinaire l’homme n’aime pas rappeler son passé douloureux, les périodes noires de sa vie, en quelque sorte elles lui rappellent ses défaites. Or à Pessah’ nous pointons du doigt notre passé dramatique. Pourquoi ? Parce qu’une personne libre se doit dans un premier temps de rappeler sans cesse son ancienne dépendance, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour ne pas retomber dans cette dépendance et dans cet état d’ « esclave », pour ‘’se libérer’’ en permanence. Mais c’est également pour comparer son état actuel à son état passé, entre autre, pour mieux apprécier ce qu’il est aujourd’hui. On dira encore : un être vraiment libre n’est pas gêné par son état antérieur, bien au contraire il affirme davantage sa liberté en rappelant son esclavage d’antan ; si je suis libre je ne suis plus affecté par mon esclavage. On peut dire encore : parce que c’est cet état d’esclavage qui lui a permit de devenir ce qu’il est aujourd’hui (idée empruntée du Maharal)… Par conséquent la liberté n’est pas qu’un état physique et géographique mais est un niveau de l’être, ce qui nous permet de mieux comprendre la nécessité de « se libérer ». Libre est celui qui est conscient de son esclavage. Il n’y a pas plus esclave que celui qui se croit libre. C’est dans cet état d’esprit qu’il faut lire toute la Hagada…
La liberté existe aussi bien au niveau du peuple d’Israël qu’au niveau de l’individu. Mais attention, il n’y a rien de plus trompeur que de croire qu’on est libre, on peut se dire libre alors qu’en réalité on est enfoncé dans l’esclavage. Dans nos prières quotidiennes nous prions pour la Guéoula ; mais, il y a une bénédiction récitée tous les matins qu’on peut rapporter à notre discours, cette bénédiction dit : « matir assourim » – littéralement : D’IEU libère les prisonniers ! Cette bénédiction ne fait pas référence aux enfermés dans les prisons, mais elle se rapporte à l’homme qui vient de se réveiller. C’est dire que le premier esclavage duquel nous nous efforçons de sortir est le ‘’sommeil’’, non pas dans son sens physique, il est important de ‘’bien’’ dormir, mais plutôt dans son sens ‘’existentiel’’ ! Sommeiller dans sa vie, ne pas avoir d’objectif, qui plus est en ce qui concerne l’individu et de façon plus élargie la communauté d’Israël, est un esclavage ; car, l’esclavage c’est ne pas exister ‘’pleinement’’, ne pas être ce que l’on aurait les potentialités d’être. La vraie liberté c’est ‘’se libérer’’ de ce qui nous empêche d’exister véritablement… C’est se libérer un peu de soi… ce soi qui nous freine !
Fasse Hakadoch Barouh’ Hou qu’en cette fête de Pessah’ nous fassions le bon travail, à travers les nombreuses et méticuleuses lois de la fête (h’ametz, cahceroute, matsa, seder etc..), pour ainsi connaître et goûter la véritable ‘’liberté’’, Guéoula – celle de l’individu et celle de la communauté.