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Rendre visite aux malades – Bikour h’olim

Rav Imanouel Mergui

Le Rambam écrit (Avel 14) : « il est une mitsva de par la parole des Sages (midivréhèm) d’aller rendre visite au malade. Bien que cela soit une mitsva de la parole des Sages, elle s’inscrit dans la mitsva qui dit ‘’tu aimeras ton prochain comme toi-même – véaavta léréah’a kamoh’a’’ (Vayikra 19-18). Ce verset veut dire : toutes les choses dont tu veux que les autres te fassent, fais les à ton semblable en Tora et mitsvot. La mitsva de rendre visite aux malades s’impose à tout le monde ; même le grand doit rendre visite au petit. Il n’y a pas de limite à cette mitsva on peut rendre visite plusieurs fois par jour plus on rendre visite mieux c’est (méchoubah’), à la condition de ne pas fatiguer le malade. Tout celui qui rend visite au malade c’est comme s’il lui enlevait une partie de sa maladie et l’en a soulagé. Toute personne qui ne rend pas visite au malade c’est comme s’il commettait un meurtre ».

Nous voyons des propos du Rambam que rendre visite au malade c’est tout un programme : une mitsva qui concerne tout le monde, qui doit être pratiquée sans limite, soulager le malade, lui redonner la vie sinon c’est un meurtre.

La Guémara au traité Nédarim 40A vante la grandeur de rendre visite au malade pour trois raisons :

  1. afin de l’aider et le soutenir – rendre visite ce n’est pas s’asseoir et prendre un café ou encore parler et échanger avec le malade. Bien souvent d’ailleurs les visites épuisent le malade, chacun lui raconte ses petits maux. L’enjeu de la visite c’est de prendre part dans ce qu’il ne peut pas faire : ranger la maison, s’occuper des enfants, faire les courses, appeler le médecin, aller à la pharmacie, l’aider à prendre ses médicaments etc.
  2. renforcer les liens d’amitié – une personne malade a besoin d’être entourée, la solitude l’accable ; lui rendre visite c’est lui prouver notre affection, notre estime, notre souci de son état. Ceci agit sur son psychisme et par cela l’amitié grandie.
  3. Prier pour le malade – la prière à ‘égard d’un malade n’est pas liée à un lieu spécifique, là où on est et quand on peut on doit prier pour son rétablissement ; toutefois prier en présence du malade rend la prière plus efficace, peut-être parce que le visiteur sera plus sensible et par conséquent investira davantage dans sa prière et également parce que le malade voyant qu’on prie pour lui et qu’on ne le délaisse pas ça agira sur son moral.

Le programme de la visite rendue au malade compte donc encore trois vertus : l’aider, l’aimer, prier.

Rendre visite à un malade ce n’est pas le regarder d’un air mesquin et de ressentir de la peine pour lui, ça va bien au-delà de cela. Nous voyons donc que rendre visite au malade va bien au-delà d’un sentiment et de l’expression de nos émotions envers lui, c’est tout un programme pratique et un comportement investi qu’on se doit d’avoir à son égard. Dans sa maladie l’être est limité, il a besoin des autres parfois pour les choses les plus élémentaires. Si les professionnels du médical remplissent leur rôle, qu’ils soient médecins ou infirmiers etc., ceci ne nous dispense pas d’aller rendre visite au malade. La mitsva ne se définie pas par une ‘’rendre visite’’ mais comme nous l’avons vu plutôt par une présence à aider le malade qui dans sa maladie est limitée voire handicapée. On ne peut pas se dispenser de la mitsva de bikour h’olim en prétextant que le malade est bien pris en charge dans un établissement en tout cas par des professionnels de la médecine. La mitsva ici n’est pas de jouer le rôle du médecin. Et, il y a quelque chose d’intéressant dans cette mitsva que j’ai pu constater : lorsqu’une personne est malade elle a le sentiment d’être réduite et dépendante des autres, elle est gênée de voir que les autres prennent part à sa vie. Lorsqu’on demande à un malade s’il a besoin de quelque chose bien souvent il répond par la négative. Il ne faut pas attendre que le malade nous sollicite, il ne faut pas lui dire ‘’si tu as besoin de quelque chose n’hésite pas à me demander’’, il ne le fera pas. L’homme dans sa fierté (justifiée ou non) ne s’abaissera pas à demander de l’aide. Il faut donc aller chez le malade, l’aider et faire ce qu’il y a à faire sans qu’il le demande, même s’il refuse qu’on fasse quoi que ce soit pour lui sans ne rien enlever de sa fierté en tout cas surtout ne pas lui donner le sentiment qu’il est dépendant de ce que je fais pour lui (un jour j’ai voulu aider un malade à marcher je lui est tenu le bras, il ne tenait pas debout, il m’en a voulu et m’a dit ‘’tu crois que je ne peux pas marcher tout seul ?!). Les gens malades n’aiment pas qu’on les aide, mais ils détestent qu’on ne soit pas près d’eux !

Et si on parle de fierté, c’est parfois ceux qui rendent visite qui se disent ‘’ce n’est pas de mon honneur d’aller rendre visite’’. C’est bien là une erreur. C’est à cela que le Rambam a dit « même le grand doit rendre visite au petit ». A ce propos la Guémara raconte (Nédarim 40A) : Rabi Akiva avait un élève malade, les Sages ne sont pas allés lui rendre visite, Rabi Akiva alla chez lui et constata l’état délaissé de sa demeure, il s’empressa de balayer et d’y faire le ménage ; ceci redonna la vie au malade. Nous pouvons déduire deux points : Rabi Akiva ne regarda pas son statut de Maître – ton élève, ton inférieur est malade vas chez lui. Et, quel que soit ton statut par rapport au malade prends le balai ! Un coup de balai dans la maison redonne la vie au malade. Comme quoi il ne faut pas grand-chose pour redonner la vie à qui en a besoin !

Si la mitsva de bikour h’olim est d’un grand mérite et d’un grand intérêt, le Rambam (Avel 14-5) nous dit encore qu’il ne faut pas rendre visite à celui qui est malade du ventre, des yeux et de la tête puisque les visites leur sont difficiles à supporter ‘’mipéné chéabikour kaché lahèm’’. Selon notre discours on dira que même si la visite physique leur est quelque peu insupportable il faudra tout au moins leur rendre visite à distance, soit pas un coup de téléphone, et les aider sans être lourd envers le malade. L’état désagréable du malade dans lequel il se trouve ne me dispense pas de lui porter toute mon aide, comme nous avons dit sans le gêner et le mettre mal à l’aise. Il faut user de ruse et de finesse pour ‘’rendre visite’’ à un malade sans se rendre chez lui.

Au traité Chabat 12A le Talmud rapporte une discussion s’il est permis d’aller rendre visite au malade le jour de Chabat. Selon Bet Chamay la chose est interdite, selon Bet Hilel c’est permis – car le ‘’rendre visite’’ au malade est une mitsva, et même si le fait de rendre visite au malade va quelque peu nous attrister chose interdite d’ordinaire durant Chabat, ici c’est permis (Rivévan rapporté dans Métivta). Le Choulh’an Arouh’ O’’H 287 stipule : « on a le droit de rendre visite aux malades le jour de Chabat, mais on ne leur souhaitera pas les mêmes souhaits formulés que la semaine, on dira plutôt ‘’le Chabat fait qu’on ne peut pas crier mais la guérison se fait proche à venir, la miséricorde divine est grande et son Chabat est Paix ». Le Michna Béroura note : la Guémara dit que rendre visite au malade le jour de Chabat n’est pas très conseillée, ceux qui ne vont pas rendre visite au malade toute la semaine et attendent le Chabat pour lui rendre visite ils ne se comportent pas bien. Et dans le Biour Halah’a il écrit encore : celui qui est très occupé toute la semaine et n’a pas pu aller rendre visite au malade il aura le droit d’aller le jour de Chabat. De même celui qui a été lui rendre visite en semaine et sait que le patient sera touché de sa visite en ce jour de Chabat il aura le droit d’aller lui rendre visite, à fortiori si sa visite sera d’un grand réconfort ou d’une grande aide pour le malade qu’il sera autorisé d’aller le jour de Chabat. Le Maharcha explique qu’il aurait convenu de ne pas rendre visite au malade le jour de Chabat de peur qu’on se mette à prier pour lui, or la prière pour le malade va nous mettre dans un état de tristesse et Chabat il est interdit d’être triste !; paradoxalement si on ne prie pas pour le malade comment va-t-il trouver meilleur état ? C’est ce qu’on dit au malade même si on ne prie pas en ce jour pour lui il trouvera la guérison. Chabat guérit même sans prière ! Comment ? Le Iyoun Yaakov explique : par le biais de l’observance du Chabat le malade aura un mérite et retrouvera santé ! (voir Métivta). En tout cas il faudra rendre visite au malade sans être attristé pour ne pas perdre la joie en ce jour de Chabat. C’est un exercice bien difficile puisqu’on va rendre visite au malade et on va constater son état de santé, il faudra se débrouiller pour détendre l’atmosphère et redonner de la joie au malade – tâche bien difficile. Le Chaârei Téchouva est d’avis que si une personne est trop sensible et que sa visite chez le malade va le peiner et entacher sa joie du Chabat il ne devra pas lui rendre visite, par contre le Tsits Eliezer (volume 13-36) s’oppose et écrit clairement que la mitsva de rendre visite au malade est une très grande mitsva et est donc autorisée en ce jour de Chabat même si cela nous attriste, la grande mitsva de bikour h’olim repousse le oneg Chabat !

Si nous comprenons bien l’enjeu de cette mitsva qui est d’un grand intérêt pour le malade, nos Sages nous surprennent en affirmant que la mitsva de rendre visite au malade est également d’un grand bénéfice pour qui rend visite aux malades. Au traité Chabat 127A le Talmud nous enseigne que le ‘’rendre visite aux malades’’ s’inscrit dans les choses dont l’homme consomme les bénéfices dans ce monde ci et garde le capital de son salaire dans le olam haba – cela veut dire que celui qui rend visite aux malades sera récompensé même dans ce monde. Tossfot précisent que bien que normalement il n’est pas possible de recevoir de salaire sur les mitsvot dans ce monde ci, il s’agit là d’une personne dont ses fautes et ses mérites sont égales, alors la mitsva de bikour h’olim fait basculer la balance dans le sens positif… Mais le Ktav Sofer est d’avis que même si sur les autres mitsvot on ne reçoit pas de récompense dans ce monde ci, pour ce qui est de la mitsva de bikour h’olim on reçoit un salaire de notre vivant même si nos fautes seraient supérieures à nos mérites (voir Métivta).

Au traité Nédarim 40A et Métivta le Talmud enseigne : tout celui qui rend visite aux malades sera épargné du jugement de la géhenne guéhinom ! Pourquoi ? Le Maharal explique : lorsque la personne est malade elle est aux portes du guéhinom celui qui va lui rendre visite le sort quelque peu de cet enfer, alors mesure pour mesure il sera lui aussi épargné de l’enfer. Pour le Ets Yossef l’idée veut que lorsqu’on va rendre visite à un malade on prend conscience du sens de la vie et par conséquent on se repent de nos erreurs, ce qui nous sauve bien évidemment du guéhinom.

Avot Dérabi Natan (chapitre 30) enseigne : rendre visite aux malades apporte toutes sortes de bonheur dans le monde ! Il y a un effet universel dans cette mitsva, le rendre visite à l’un augmente la tova dans le monde. Rav Meir Etrog dans son commentaire Méoré Or rappelle que les Sages enseignent au début du traité Avot que le monde repose sur la gmiloute h’assadim (bonté et générosité que les hommes s’offrent). Rendre visite aux malades c’est renforcer un des piliers du monde. Il note que le Rambam écrit au début du traité Péa : le bonheur de ce monde provient des comportements vertueux et généreux d’entre les hommes tel rendre visite aux malades.

Rappelons que rendre visite aux malades est un des comportements exercés par D’IEU ! (Sota 14A, Tanh’ouma Vayéra, Pirké Dérabi Eliezer 29). Cela nous apprend deux choses : 1) on doit se comporter comme D’IEU et rendre visite au malade, 2) le malade n’est pas abandonné ni de D’IEU ni des hommes.

Je voudrais rappeler brièvement une idée de notre Grand Maître Rav Wolbe ztsal (Alé Chour volume 2) qui veut que l’on regarde le malade comme étant une personne qui est éprouvée

par D’IEU, de ce fait c’est une Grande personne, l’épreuve n’arrive qu’aux grandes personnes ! Il y a un enjeu chez cette personne qui est éprouvée par D’IEU ; c’est-à-dire que le regard qu’on doit avoir sur le malade ce n’est pas ‘’le pauvre qu’est-ce qui lui arrive’’, un regard mesquin et petit et réducteur. Non ! nous dit le Rav il y a ici une personne qui est au contact étroit de D’IEU regarde le avec estime et profonde considération.

Me basant sur cette géante réflexion j’ai l’habitude, lorsque je me rends chez un malade de prier pour lui certes mais de ne pas oublier de lui demander qu’il me fasse à son tour une brah’a – croyez-moi ça marche ! D’abord ça lui donne un regard plus haut sur lui-même, ça lui fait du bien, et la prière du malade marche parce que D’IEU est proche de celui qui souffre…

Qu’Hachem envoie guérison à tous les malades, que tous guérissent de leurs maux pour retrouver le sourire et la joie qui nous sont si chers.

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