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La force de la « bérah’a»

Rav Imanouel Mergui

Un des sujets les plus subtiles dans la halah’a est celui des bénédictions. De nombreux passages dans le Talmud ainsi que dans les ouvrages de la loi juive sont consacrés sur le devoir que nous avons que de réciter des bénédictions à D’IEU, à tel point qu’il est dit au traité Baba Kama 30a « celui qui veut être un homme pieux qu’il pratique pointilleusement les lois des bénédictions ». Il n’y a pas un fait ou geste, une situation, un évènement de la vie de l’homme exempt de bénédiction. Ces lois sont d’une complexité assez singulière, et on ne peut les négliger surtout que le bénéfice d’une bénédiction bien récitée est immense. Pour ne citer qu’un exemple de leur bénéfice on a en mémoire l’enseignement de Rabi Méir au traité Ménah’ot 43b « l’homme a le devoir de réciter cent bénédictions chaque jour ! », la raison est rapportée dans le Tour O’’H 46 au nom de Rav Nissim Gaon : il y avait une épidémie et chaque jours cent personnes mouraient !, alors le roi David institua de réciter cent bénédictions par jour et c’est alors que l’épidémie stoppa ; les décisionnaires mettent donc en garde le fait de réciter convenablement et correctement ces dites bénédictions (voir encore Choulh’an Arouh’ O’’H 46-3, Michna Béroura 14, Kaf Hah’aïm 31, Lévouch et Méam Loëz Béréchit. D’après Halih’ot Bat Israel au nom de Rav Wozner les femmes ne sont pas tenus de réciter cent bénédictions par jour, alors que d’après Yalkout Yossef les femmes aussi doivent réciter ces cent bénédictions et il n’y a aucune raison de dispenser les femmes de cette obligation). La puissance de la bénédiction est notée ici comme un facteur vital puisqu’elle a même la force de stopper le malheur. La bénédiction apporte le bonheur et arrête le malheur ! Au traité Bérah’ot 54a la michna enseigne « l’homme a l’obligation de réciter une bénédiction sur le mal qui lui arrive au même titre qu’il doit réciter une bénédiction sur le bien qui lui arrive. Ceci est tiré du verset de la Tora qui annonce ‘’tu aimeras l’Eternel ton D’IEU etc. béh’ol méodéh’a’’, une des interprétations de ce verset dit ‘’tu aimeras D’IEU dans toutes les situations, bonnes ou mauvaises, qu’il t’a placées, et tu l’en remercieras’’ ». A la page 60b la guémara explique : sur une bonne occasion on récite ‘’hatov véhamétiv’’ alors que sur un drame on récite ‘’barouh’ dayan haemet’’. La formulation de la michna qui veut « qu’on récite une bénédiction sur le mal comme sur le bien » se rapporte sur la façon dont on doit réciter ces bénédictions et dans les deux cas, du bonheur comme du malheur, cela veut dire que « l’homme doit tout accepter avec joie ! ». Il est de toute évidence que cet enseignement, rapporté d’ailleurs dans la halah’a – voir Choulh’an Arouh’ O’’H 222-2,3 et Biour Halah’a qui écrit en ces termes « cette bénédiction s’approprie et doit être récitée sur tout évènement attristant la personne », n’est pas facilement praticable ! Effectivement dans les moments douloureux l’homme se retrouvant dans un brouillard lourd a quelque peu du mal à bénir D’IEU joyeusement. Dans un premier temps j’insiste sur ces enseignements talmudiques qui nous lèguent une leçon formidable : la force de la bénédiction ; celle-ci est tellement puissante qu’elle doit être récitée MÊME dans le négatif, dans le mal, dans la douleur, dans l’insupportable, dans l’incompréhensible. Voici quelques idées rapportées dans le Yalkout Biourim du Chass Métivta qui nous בס״ד permettront de mieux apprécier cet enseignement, même si de toute évidence nous souhaitons à tout le mopde de ne connaître seulement ce qui nous réjouit d’emblée et que le malheur sous quelque forme soit-il n’approche personne… Le Arouh’ et Talmidé Rabénou Yona développent l’idée suivante : il y a un phénomène évident que l’homme oublie qui sont ses fautes et ses erreurs. En somme nous espérons tous le bonheur et en même temps nous ne voulons pas rendre des comptes ! Paradoxe de l’homme. Antithèse de la nature. Consommer sans ne rien payer. Jouir sans souffrir. Prendre sans être redevable. D’IEU envoie à l’homme des malheurs pour en expier ses fautes ! Et si nous n’aimons pas tellement cette thèse (si tant est si bien que la Tora dépende de ce que l’on aime…) c’est parce que l’idée d’expiation des fautes nous renvoie à ce que nous n’aimons pas entendre, cette réalité qui est notre : nos fautes. C’est sans doute une des épreuves de notre génération : reconnaître ses torts. Exercice très difficile pour notre ère qui se veut être déculpabilisatrice ! Sans faire ici l’apologie de la culpabilité (non pas dans son sens ‘’chrétien…) il faut savoir qu’elle est nécessaire et vitale, c’est tout simplement assumer une réalité, notre réalité, mais c’est surtout celle qui nous permet d’avancer. Celui qui oublie ses erreurs, recule. Celui qui reconnaît ses erreurs, ou plus exactement sa faculté même de commettre des erreurs, est fort, vainqueur, héros. Un père qui dit à son fils : pourquoi as-tu des mauvaises notes je n’ai jamais eu de zéro ! Il est un menteur, et abîme toute sa faculté d’éducateur… Un mari (ou une femme) qui ne reconnaît pas ses erreurs fonce droit au divorce… Etc. Voici une belle phrase que j’ai rencontré : « La vraie déculpabilisation c’est quand on peut assumer sa culpabilité… ». Si pour ces maîtres l’idée à retenir c’est : merci D’IEU de m’envoyer des malheurs pour expier mes fautes, en mes mots je dirais : je fais une bénédiction pour reconnaître que j’ai commis des erreurs… ! Le Rambam dans son Pérouch Hamichna tire une autre leçon : les êtres dotés d’intelligence ne se lamentent pas du mal qui leur arrive et n’en sont point impressionnés, effectivement l’homme ignore l’histoire qu’est-ce qui lui permet de croire que le mal qui lui arrive ne se traduira-t-il pas en bien et en bénéfice dans le futur ?! Il est là une question fondamentale à laquelle ne peut certainement pas répondre : qu’est-ce que le bien ? Qu’estce que le mal ? Non pas dans leur apparence immédiate mais dans leur aspect absolu ! Il est vrai qu’on peut s’interroger de comprendre pourquoi D’IEU envoie un bien à l’homme maquillé en mal ? Les réponses sont multiples mais selon le Rambam c’est là une intelligence d’aller au-delà de son ressenti, au-delà de ce que l’on voit. Apprendre à vivre plus intensément, plus profondément, se détacher du superficiel et du visuel. Bénir le mal c’est réfléchir sur son sens, sur son enjeu, c’est apprendre l’intériorité. C’est faire preuve d’honnêteté intellectuelle que de s’interroger si on bien comprit la vie ! Là aussi notre génération très voyeuse, très extérieure aura du mal avec ce discours. Mais encore une fois nous ne sommes pas là pour choisir ce qui nous plaît d’apparence mais plutôt pour ce qui est à plaire véritablement. « Les eaux calmes sont les plus profondes », dit le dicton. Mais, le plus dur dans tout ça c’est l’aspect joyeux avec lequel l’homme doit apprécier tout ce qui lui arrive même le mal. Quelle dimension faut-il atteindre pour y arriver ! Quelle foi en D’IEU ! Quelle intégrité ! Peutêtre, et sans doute nous connaissons mal la notion de JOIE prescrite par la Tora. Fasse Hachem que nous ne connaissions tous que des joies…