Rav Yona Ghertman
1/ Quelques notions historiques
Lorsque l’on parle de la Torah ( הרות) qui a été transmise à Moshé notre maître sur le Mont Sinaï, il s’agit des cinq livres du Pentateuque (שמוח) qui sont lus dans le Sefer Torah durant l’année. Parallèlement, D.ieu enseigna à Moshé la Torah Orale (הפ־לעבש), une compilation de traditions indispensables à la
compréhension de la Torah écrite בתכבש(). Cette transmission se fit également sur le MontSinaï (Avot 1, 1). Par la suite, tout au long de l’histoire juive, d’a utres livres bibliques vinrent s’ajouter aux cinq constituants la Torah, il s’agit des livres des Prophètes (יאיבנ ) et des Hagiographes (יבותכ ). Entre la fin du premier et le début du second siècle de notre ère, le canon biblique fut ainsi définitivement formé par les Sages réunis à Yavné. L’ensemble des livres retenus alors, soit un total de 24, est nommé en français « Bible ». En hébreu, ce corpus est tout simplement nomméTanakh (״נת ), acronyme basé sur les noms de ses trois parties constituantes : הרות + יאיבנ + יבותכ .
Depuis notre maître Moshé, les différents tribunauxbasèrent leurs décisions en se fondant obligatoirement sur la Loi Orale. Celle-ci n’était diffusée que deMaître en élève, mais n’était pas inscrite dans deslivres, à la différence de la Loi écrite. Les différents Sages qui se succédèrent raisonnaient en comparant les différentes traditions pour déterminer la HalakhaSi. la chaîne de la tradition resta ainsi unie durant des millénaires, elle se divisa une première fois versle début du premier siècle de notre ère. Il s’agitdes célèbres controverses opposant Hillel et Shamaï. Bien que ces discussions étaient bénéfiques car empruntes de crainte de D.ieu (Avot 5, 17), elles contribuèrent à la création de deuxécoles interprétant différemment la Loi Orale. Or, les Sages ne voulant pas que les avis se multiplient en Israël, décidèrent de centraliser les décisions en se basant sur celles de l’école d’Hillel, bien que les décisions de Shamaï continuèrent à être étudiées (voirHorayot 1, 4).
Un autre danger, cette fois-ci bien plus important, menaçait la transmission de la Torah Orale. Après la destruction du Temple en l’an 70, et les nombreux exils successifs à la répression de la révolte duעשר Bar-Koziba en 135, les Sages craignirent que la Loi Orale soit de moins en moins retenue. Aussi Rabbi Yéhouda HaNassi prit-t-il la décision motivée par la situation exceptionnelle de l’époque, de mettre par écritles enseignements et discussions de la Loi Orale. Il composa ainsi la Michna (הנשמ ) au début du troisième siècle de notre ère (voir Guittin 60b).
Le Talmud de Babylone (ילבב דומלת), rédigé en 490 reprit toutes les discussions surla הנשמ, soit un peu moins de trois siècles de controverses halakhiques entre nos Sages ! La Guemara (ארמג) constitue ce corpus de discussions, dont le but premier n’est d’autre q ue d’expliciter les propos de la הנשמ en les comparants avec d’autres enseignements moins répandus, nommésBeraïta (רבאתיי) et Tossefta (אתפסות).
Parallèlement, fut également composé le Talmud deérusalemJ (ימלשורי). Moins vaste et moins précis que son confrère babylonien, il ne couvre pas les six ordres de la Michna. Il est d’ailleurs moins étudié que le
Talmud de Babylone qui l’emporte systématiquement en cas de divergences d’opinions entre les deux Talmud1.
Durant l’époque des Saboraïm et des Gueonim, approximativement entre l’an 500 et l’an 1000, il était très dur de connaître précisément la Halakha car seuls esl spécialistes savaient déterminer qui avait le dernier mot dans les controverses talmudiques. Plusieurs décisions émanèrent donc des différents maîtres, mais aucun travail de classification systématique ne vitle jour jusqu’aux Richonim.
Le premier à effectuer un travail de synthèse ne prenant en compte que les conclusions du Talmud fut le Rav Itzhak Elfassi (״יר 1013-1103). D’autres le suivirent, chacun avec un style et une méthode adaptée à sa compréhension de laHalakha et surtout au public ciblé. Les deux principaux décisionnaires furent, pour le monde sépharade, Maïmonide (״במר 1134-1204) ; et pour le monde ashkénaze, Rav AsherBen Ye’hiel (ש״אר 1250-1327).
Le fils de ce dernier, R. Yaakov Ben Asher (1280-1340/8) prit la décision de se baser sur les différents décisionnaires pour proposer une œuvre halakhique d écoupée en quatre parties différentesירוט( העברא). Plus tard, Rabbi Yossef Karo (1488-1575) conserva cette structure lorsqu’il composa le célèbreShoulkhan Aroukh, œuvre à vocation unificatrice se basant sur les d écisions du״יר , du ״במר , et du ש״אר. Rabbi MoshéIsserless (א״מר 1520-1572) composa le Mappa pour palier au peu de références aux coutumes ashkénazes contenues dans le Shoulkhan Aroukh. Au lieu de constituer un autre ouvrage, le Mappa (lit : nappe) vint se poser sur le Shoulkhan Aroukh (lit : table dressée) et un seul ouvrage halakhique fut finalement composé, à l’attention du monde sépharade comme du monde Ashkénaze.
L’unité halakhique fut de courte durée car laHalakha n’étant pas un processus figé, de nouveaux cas n’étant pas prévus dans leShoulkhan Aroukh apparaissaient régulièrement. Cependant, la situation n’était pas revenue au même niveau qu’avant l’action centralisatrice de Rabbi Yossef Karo, car les différentsAharonim des époques suivantes prirent systématiquement en omptec les avis inscrits dans le Shoulkhan Aroukh et dans le Mapa. Même s’ils étaient en désaccord avec la méthode dRabbi Yossef Karo ou avec les gloses du א״מר, ils ne pouvaient les ignorer, tellement l’ouvrage marqua la vie juive.
2/ Quelle est la Halakha aujourd’hui ?
Aujourd’hui, il serait complètement illusoire de vouloir déterminer la Halakha de tous les jours en sebasant exclusivement sur le texte du Shoulkhan Aroukh. Une importante littérature a depuis émergée. Lesavis des principaux Aharonim postérieurs à Rabbi Yossef Karo furent intégrés auxdifférentes éditions duShoulkhan Aroukh.
- Voir M. Picard, Juifs et Judaïsme Tome 2, BibliEurope, pp.69-70