Rav Imanouel Mergui
Il pourrait paraître quelque peu déplacé de parler de pauvreté en cette veille de fête de la liberté que représente Pessah’. C’est vrai mais voici trois motivations pour lesquelles je veux parler de ce sujet :
- On est tous préoccupé à se préparer correctement à Pessah’ : nourriture, vêtements, vaisselle, et on oublie les nécessiteux, on délaisse ceux qui sont dans le besoin, on abandonne ceux qui n’ont pas d’argent pour fêter Pessah’ ! Or la liberté c’est quelque chose qui se partage, je ne peux vivre librement et ressentir une réelle liberté si je néglige l’esclave de la pauvreté. L’homme libre est celui qui arrive à libérer l’autre. Par contre, celui qui a n’aide pas l’autre dans sa détresse il n’est pas lui-même libre…
- Donner de la tsédaka est en soi une forme de liberté, nos Maîtres nous enseignent par exemple au traité Chabat 139 que la ville de Yérouchalaïm ne sera libérée uniquement par le mérite de la tsédaka. Pirké Dérabi Eliezer nous apprend que par le mérite de la tsédaka les morts ressusciteront. Les enseignements de nos Sages relatant les mérites de la tsédaka allant dans le sens de la liberté sont nombreux. Donner à l’autre c’est créer un espace libre !
- La hagada que nous lisons la nuit de Pessah’ ouvre par un passage surprenant : « voici le pain pauvre » ! Si on ouvre la nuit de la liberté par le rappel de la pauvreté c’est dire ô combien cette notion est majeure pour cette fête et ce qui en découle ; voyageons dans l’espace des exégètes de la hagada pour mieux comprendre ce qui est dit là et pour ainsi mieux vivre la liberté.
Le Maharal écrit dans sa hagada : certains s’interrogent pourquoi la hagada ouvre par un passage relatant la pauvreté alors que la hagada rappelle la liberté, ces deux notions, pauvreté et liberté, ne sont-elles pas des opposées ? Non !, répond le Maharal : la pauvreté et la liberté ne sont absolument pas opposées, bien au contraire la pauvreté désigne la liberté. La liberté se définit par l’indépendance, celui qui ne dépend que de lui-même, détaché de toute adjonction, qui est face à lui-même ! La matsa est le ‘’non composé’’ comme celui qui existe pleinement à travers lui-même. C’est en Egypte même que les Enfants d’Israël ont consommé la matsa, car c’est par cette prise de conscience que dorénavant ils existeront détaché du tout autre alors ceci leur a permis de déclencher la liberté. Si certains voient dans la pauvreté l’origine du peuple juif qui sortira de cette pauvreté se trompe, selon le Maharal la pauvreté c’est-à-dire l’indépendant, le non composé, le simple (« péchitoute »), est réellement libre. On ouvre la hagada par la définition même de la liberté symbolisée ici par la pauvreté.
Néanmoins cet aspect de soi contient un danger celui de conduire l’homme à l’orgueil, effectivement lorsque l’homme atteint ce niveau d’auto suffisance et d’indépendance il risque d’avoir un sentiment de supériorité voire de négligence et mépris pour l’ « autre ». C’est la raison pour laquelle selon certains commentaires le ‘’pain de pauvre’’ rappelle la modestie à laquelle l’homme doit avoir recours. On peut rajouter également que c’est la raison pour laquelle le texte continue « que tout celui qui a faim vienne et mange etc. » C’est-à-dire je ne glisse pas dans ce sentiment d’indifférence envers l’autre. D’ailleurs celui qui ignore l’autre c’est qu’il a peur de l’autre, et cette peur découle de ce regard insuffisant qu’on a de soi-même et pire encore c’est qu’on existe conditionnellement à ce regard de l’extérieur, on est donc prisonnier du regard de l’autre. Libre c’est se regarder indépendamment de ce que l’autre regarde de moi sans qu’à mon tour je détache mon regard de l’autre à tel point de ne plus le faire exister.
Pessah’ c’est la fête de la liberté de soi sans empiéter dans le domaine de l’ « autre ». Avis aux amateurs (qui sont très nombreux) qui n’existent qu’en piétinant l’autre et qu’en l’empêchant d’exister… Libre n’est pas celui qui croit que seul lui sait faire des choses positives !