Rav Yona Ghertman
Dans la Parasha de cette semaine בא, comme dans celle de la semaine dernière וארא , Hachem demande à Moshé Rabbénou de tenir le langage suivant au Pharaon :« Laisse partir mon peuple pour qu’il Me serve » (Exode 10, 3). Il ressort de cette déclaration que le but du départ ed l’Egypte n’est pas l’arrivée dans la Terre d’Israël, mais l’accomplissement du service divin. Ceci se déduit d’ailleurs des versets de la Parasha אָרֵאָו :
- Exode 6, 6 : « Je vous délivrerai de votre servitude »
- Exode 6, 7 : « Je vous prendrai pour Moi comme peuple, et Je serai votre D.ieu »
- Exode 6, 8 : « Puis( ו ) Je vous introduirai dans le pays que j’ai promis »
La dernière promesse apparaît ici comme la conséquence de la reconnaissance de D.ieu par Israël ; cett e reconnaissance étant elle-même la raison de la délivrance mentionnée dans la première promesse. C’estdonc dans cet esprit qu’il faut comprendre que la demande adressée au Pharaon n’est pas : « Laisse partir Mon peuple pour qu’il aille en Terre d’Israël », mais bien « Laisse partir Mon peuple pour qu’il Me serve » . Aussi en expliquant au Pharaon la raison de la requête divine, Moshé Rabbénou explique aux différentes générations que laieduJuifdevraêtre centréesurunobjectifbienprécis :laהדבֲע(service).Delamêmemanièrequ’unדֶב עֶ (esclave) est constamment au service de son maître, le Juif doit diriger toutes ses actions vers son Maître : Hachem.
Une fois cette idée fondamentale rappelée, il convient de s’interroger sur l’interlocuteur de cette déclaration. Pourquoi D.ieu veut-Il expliquer au Pharaon que le but du départ d’Egypte est de Le servir ? En quoi cela est-il supposé infléchir ou raidir la position du Pharaon, d’autan plus que son refus de libérer le peuple est déjàprévu par D.ieu ? A première vue, si cette précision est fondamentalevis-à-vis des Hébreux, elle paraît tout à fait sup erflue vis-à-vis du Pharaon. Ce dernier ne voit qu’une chose : le départ de ses esclaves représente la perte d’une main d’œuvre importante. Après, que ses ouvriers aient pour objectif premier de s’établir dans un territoire ou de servir D.ieu, cela ne change pas grand-chose à son problème concret.
En réalité, il me semble que la demande divine a pour objectif d’éviter une profanation du Nom de D.ieu. L’Histoire a montré que les révoltes d’anciens esclaves ou de classes sociales « inférieures » sont rarement guidées par une idéologie construite. Au contraire, une idée prédomine : quitter la position sociale critiquée. En général, la révolte éclate lorsque les frustrations accumulées deviennent insupportables. La population qui rejette l’ordre établi parvient alors à se libérer de ses frustrations en renversant le gouvernement ou le groupe humain les ayant provoquées. Dans de telles révoltes, l’objectif du départ du statut actuel est donc la libération des frustrations.
Le philosophe et homme politique anglais Edmund Burke (1729-1797) a montré dans sa critique de la révolution française que la rupture soudaine avec l’ancien sys tème ne peut pas être constructive. Même lorsqu’unmouvement aux origines intellectuelles proclamées guide une révolution, il n’en reste pas moins que la libération des frustrations reste l’objectif dominant de la révolte. Dans la même vaine, on remarquera que le premier manifeste féministe Défense des droits de la femme parut dans le sillage de la révolution française en 1792. Même si une véritable idéologie étaitalors en train de se créer, il n’en reste pas moins que le principal objectif n’était autre que la libération des frustrations causées par la société patriarcale de l’époque.
C’est donc dans cet esprit qu’il faut comprendre la déclaration transmise au Pharaon au Nom de D.ieu :« Laisse partir Mon peuple pour qu’il Me serve » . Hachem montre ainsi au maître de l’Egypte que ce qui se passe alors sous ses yeuxn’a rien à voir avec une banale révolte. Il ne s’agit pas ici d’esclaves lassés par les frustrations qu’entraîne leur état. Il n’est pas question non plus de cacher son véritable objectif derrière telle ou telle philosophie. Cette révolte est une véritable révolution car elle met fin à une réalitésociale dans un but strictement défini : servir Dieu.. La libération n’a pas un rapport de fond avec l’esclavage, et encore moins avec les frustrations qu’il provoque.
Hachem montre donc au Pharaon qu’Il se soucie peu de détruire le système existant. Ce qui l’intéresse st de provoquer la construction d’un nouveau système. Ce système mérite que des plaies s’abattent sur l’Egypte et que des miracles soient produits pour les Bné-Israël à la vue de tous. C’est le système de la Torah.