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Le Sommeil

Rav Imanouel Mergui

Nous passons une bonne partie de notre vie à dormir. Le sommeil n’est pas un arrêt de la vie mais s’inscrit dans le programme de la vie. Nous récitons une prière tous les soirs pour le coucher, c’est la bénédiction du ‘’mapil’’, et également dans la prière de Arvit pour la bénédiction de ‘’hachkivénou’’. Si dormir est une activité dont on ne saisit pas d’emblée son intérêt, même si tout le monde trouve un plaisir dans le dormir, nous prions D’IEU qu’il nous aide à bien dormir… C’est un fait pour passer une bonne journée et réussir dans ses activités il faut bien dormir. Mon grand Maître Rav Chlomo Wolbe ztsoukal écrit qu’une bonne prière nécessite une bonne préparation, or la préparation de la prière du matin commence à l’heure où on va se coucher le soir ! (Alé Chour II page 350). Dès lors la question s’impose : est-ce qu’on dort pour se reposer de la journée qui vient de s’écouler ou bien on dort pour bien démarrer la journée qui va commencer ? En d’autres termes le sommeil est-il l’aboutissement de la journée qui est passée ou bien le commencement de la journée qui arrive ? Il y a quelque chose de complètement absurde chez les nations : le nouveau jour commence au milieu de la nuit, c’est-à-dire au moment où il n’y a pas âme qui vive ! Mais me diriez-vous chez les juifs ce n’est guère mieux, effectivement voilà que le nouveau jour commence à la tombée de la nuit ?! Mais, je vous répondrais, c’est bien cela l’enjeu de la nuit : dormir pour passer une bonne journée. La nuit prépare la journée. La nuit n’est pas l’aboutissement et la finalité de la journée. On ne vit pas le jour pour finir au lit…

Dans le Chémâ nous disons « tu enseigneras la Tora à tes enfants, et tu parleras des paroles de Tora lorsque tu es installé chez toi dans ta maison, lorsque tu es sur ta route, ainsi qu’à ton coucher et à ton lever ». Si l’homme doit être investi totalement dans la Tora cela inclus tous les moments de la vie, et même celui du coucher. Oui, tout simplement il faut prendre un livre de

Tora     et     s’endormir     avec           (ceci     est     dit

particulièrement pour ceux qui n’ont ‘’jamais’’ le temps d’étudier, prenez un livre de Tora au lit – plutôt que de s’endormir avec un roman ou avec la télé allumée !). Le Roch écrit dans son Orh’ot H’aïm (18) « sois vigilant d’étudier la Tora la nuit jusqu’à t’endormir ». Rav H’aïm Kaniewsky chalita dans son commentaire Hasam Orh’otav note comme référence l’enseignement cité au traité Bérah’ot 14a « Rav Ah’a fils de Rabi H’ya fils de Aba dit au nom de Rabi H’ya lui-même au nom de Rabi Yoh’anan : tout celui qui se rassasie de Tora et s’endort on ne lui annonce pas de mauvaises nouvelles ». Le Maharcha explique : Il ne suffit pas de dire le chémâ du coucher il faut également étudier jusqu’à être comblé de Tora, c’est alors que l’homme sera épargné de mauvais rêves (et nous savons que les rêves sont des messages divins, celui qui étudie la Tora avant de dormir sera libéré de mauvais présages, D’IEU lui enverra seulement des bonnes nouvelles. Or, comme nous l’avons dit la nuit prépare la journée, bien dormir et bien rêver c’est s’assurer de passer une bonne journée). Cet enseignement de Rabi Yoh’anan est tiré du verset dans Michlé chapitre 19 verset 23 qui annonce « la crainte de D’IEU pour la vie, le rassasié dort, il ne sera pas atteint de mal », le Malbim explique : d’ordinaire la peur des évènements de la vie empêche l’homme de bien manger et de bien dormir (l’angoisse abîme la vie), par contre celui qui s’investi dans la crainte de D’IEU comprendra que les autres peurs sont nulles et, il pourra donc bien manger et bien dormir ; celui qui craint D’IEU vit dans la confiance en D’IEU qu’aucun mal ne lui parviendra, il n’a donc peur de rien ! Il Oubliera même les mauvais moments passés de sa vie, précise Even Ezra. Tout ceci est synonyme de tranquillité intérieure, qui ne cherche pas un mode de vie paisible ?! Où le trouver ?, là est la question. Le Gaon de Vilna dans son commentaire sur Michlé décrit une idée surprenante quant au sommeil, il écrit : « D’IEU a placé dans la nature de l’homme le besoin du

sommeil de la nuit ceci afin que son âme monte dans la yéchiva céleste durant la nuit où les secrets de la Tora lui sont dévoilés, ce qu’il ne pourrait pas découvrir en soixante-dix années de vie. Par contre cette étude ne le conduit pas au ôlam haba, seule la Tora que l’homme étudie au stade éveillé le conduit au ôlam haba. Lorsque l’âme revient à l’homme au réveil aucun mal ne peut lui arriver ». Voilà une vision assez surprenante du sommeil, je ne m’aventure pas dans ce commentaire du Gaon de Vilna, honnêtement c’est une explication qui me dépasse, je constate juste que pour les géants de la Tora, le Gaon de Vilna en l’occurrence, le sommeil est un moment de proximité avec D’IEU immense, plus simplement dit : l’homme ne doit pas quitter la Tora même lorsqu’il dort ! Cette Tora qui est la raison de notre vie et survie, l’enjeu de la création, le support de notre existence ne peut connaître de moment vacant… La nuit ne se résume pas à quelques heures de sommeil sous la couette et un bon oreiller, elle s’inscrit dans le programme de la vie. Le sommeil n’est pas une parenthèse de la vie.

Le Roch dans son Orh’ot H’aïm (44) écrit encore “fixe des moments pour étudier la Tora, avant de manger et avant de te coucher “. Là encore Rav H’aïm Kanievsky chalita dans son commentaire Hasam Orh’otav énumère treize références talmudiques et midrachiques faisant l’apologie de l’étude de la Tora la nuit… Voir également Anaf Ets Avot du Gaon Rav Ovadya Yossef chalita Avot chapitre 6michna 6. Etudiez les vos nuits seront différentes, plus riches et plus vivantes.

Il y a d’ailleurs un lien étroit entre le sommeil et la Tora, c’est ce que nous enseigne la Béraïta du sixième chapitre des Pirké Avot ; énumérant les quarante-huit éléments nécessaires et indispensables pour acquérir convenablement la

Tora l’auteur cite « méoûte chéna », littéralement la diminution du sommeil ! Le Rav Leifer chalita dans son édition Ôz Véhadar Péniné Halah’a rapporte un débat intéressant

  • Les décisionnaires se sont penchés sur la question de savoir combien de temps est-il autorisé de dormir la nuit ? Le Rambam Déôte 4-

4 considère que l’homme doit dormir huit heures par nuit. Rav Tsadok Hacohen (24) et le H’atam Sofer pensent que quatre heures de sommeil suffisent (le H’atam Sofer dit quelque chose de surprenant, il dit que les huit heures de sommeil préconisées par certains Maîtres définissent toutes les activités quotidiennes de ce monde qui sont également appelées ‘’sommeil’’, en ces huit heures l’homme doit trouver le temps pour réaliser ce qu’il a besoin pour vivre pour ainsi consacrer le reste de son temps à l’étude de la Tora !). Le Ari zal dit qu’il faut dormir six heures par nuit. Telle est également l’opinion du Ben Ich H’aï qui affirme que les médecins reconnaissent que dormir plus de huit heures par nuit c’est mauvais pour la santé, par contre celui qui dort six heures par nuit et consacre son temps à l’étude de la Tora sera épargné des maux de la fatigue ; il y a des périodes dans l’année, poursuit le Ben Ich H’aî, où il convient de dormir moins de six heures et ceci n’aura aucun effet néfaste sur la santé, ce sont les nuits : jeudi soir, veille de Roch H’odech, les nuits du mois de Eloul, les nuits des dix jours de Téchouva allant de Roch Hachana à Yom Hakipourim. Le Michna Béroura 238-2 écrit : il n’y a pas de temps fixe pour le sommeil, ceci dépend de la santé de chacun, néanmoins l’homme ne doit pas trop s’enfoncer dans le sommeil comme nous indique la Michna au traité Sanhédrin chapitre 8 ‘’le sommeil des tsadikim est néfaste pour eux et pour le monde’’ puisqu’en ce temps de sommeil voilà qu’ils n’étudient pas la Tora – explique Rachi ». On ne peut donc fixer un temps de sommeil égal à tous les individus, la règle commune est : ne dors pas trop sur le compte de ton étude ! Le pire est le Chabat ce grand ‘’jour de sieste’’ où l’on perd un temps considérable à dormir – quelle profanation manifeste du Chabat !!! On demanda un jour au Gaon de Vilna pourquoi il ne dormait pas beaucoup le Chabat puisque dormir est un plaisir et le Chabat est un moment de plaisir, certains voient même dans le mot Chabat l’expression Chéna Béchabat Taânoug ? (les lettres hébraïques de ces trois mots forment le mot Chabat). Le Gaon répondit : on sait que les choses qui délivrent du plaisir il convient de les

consommer en petite quantité sans quoi elles deviennent écœurantes ! (rapporté dans Avot Ôz Véhadar d’après le livre Avot Al Banim). Bien souvent lorsqu’on fait une longue sieste lorsqu’on se réveille on s’exprime paradoxalement de la sorte ‘’je suis crevé’’.

Le Maharal dans son Dereh’ Hah’aïm explique « lorsque l’homme dort voilà qu’il n’étudie pas, or il est dit dans Yéochouâ 1 ‘’et tu étudieras jour et nuit’’, tel est la vertu de la Tora de l’étudier de jour comme de nuit. Sache que le sommeil répond au besoin du corps, or lorsque l’homme s’adonne trop aux activités du corps il s’éloigne des activités intellectuelles ». Voilà, l’homme doit choisir ce qu’il veut faire de sa vie, investir dans la matière ou dans l’esprit. A travers le temps passé au lit l’homme prouve de l’intérêt qu’il porte à sa vie. Chaque nuit est une nouvelle occasion qui nous est offerte pour réfléchir sur l’enjeu de notre vie.

Selon le Midrach Chemouël il convient de se lever au milieu de la nuit pour s’adonner à l’étude de la Tora puisque ce moment est propice à réussir dans son étude comme le dit le Zohar. S’il faut limiter le temps de sommeil il convient également d’interrompre quelque peu son sommeil pour étudier la Tora, ceci prouvera bien qu’on dort parce qu’on n’a pas le choix, on ne peut faire autrement. S’il était possible on ne dormirait point, on étudierait toute la nuit. En réalité les gens qui travaillent le jour et dorment la nuit doivent s’interroger sur le temps d’étude de la Tora qu’ils se réservent. Le Pélé Yoets écrit qu’il convient de dormir un peu la journée pour se réveiller au milieu de la nuit pour étudier !

Rabi H’aïm de Volosyn dans son commentaire Rouah’ H’aïm voit dans le sommeil un avant-goût de la mort, comme nous dit le Talmud au traité Bérah’ot 57b ‘’le sommeil est un soixantième de la mort’’. C’est-à-dire, explique-t-il, chaque individu goûte dans son sommeil ce que la mort lui réservera, c’est-à-dire : l’impie connaîtra la géhenne c’est ce qu’il goûte durant son sommeil, alors que le tsadik connaîtra l’eden c’est ce qui se passe durant son sommeil son âme monte dans les cieux pour se délecter des secrets divins.

Le Choulh’an Arouh’ O’’H 238-1 écrit : « il faut être vigilant quant à l’étude de la nuit plus qu’à celle du jour, celui qui n’étudie pas la nuit sa sanction est sévère ». le Michna Béroura (1) commente : « nos Sages ont dit ‘’la nuit n’a été créée uniquement pour qu’on y étudie la Tora ! (voir Erouvin 65a) ‘’Tout celui qui étudie la nuit, D’IEU l’anime de bonté’’. ‘’Les érudits qui étudient la nuit, la chose est considérée comme sils effectuaient le service du Temple’’. ‘’Tout celui qui étudie la nuit la présence divine est à ses côtés’’. Par contre ‘’toute demeure où la Tora n’est pas étudiée la nuit, elle sera dévorée par le feu’’ ».

Dans la halah’a on rencontre de nombreuses questions qui ont trait au sommeil en voici quelques brefs exemples : la bénédiction du coucher. A-t-on le droit de dormir à la synagogue ? Qu’en est-il d’une personne qui a prononcé le vœu ou le serment de ne pas dormir ? Celui qui dort et a une relation avec une femme qui lui est interdite. Celui qui cause un dommage matériel dans son sommeil…

Le premier sommeil décrit dans la Tora est celui de Adam Harishon au moment où D’IEU l’a endormit pour créer la femme – voir Béréchit 2-21 Dormir ça a quelque chose de bon ! Certes il est intéressant de s’interroger sur le sens de ce sommeil, pourquoi fallait-il que l’homme soit anesthésié pour que la femme soit créée ? voie Séforno et traité Sanhédrin 39a…

Rav Dessler zal s’étonne (Mih’tav Mééliyahou volume 5 hébreu page 456) : il y a quelque chose de paradoxale, voilà que le sommeil est un soixantième de la mort dès lors comment se fait-il qu’au matin l’homme trouve la force de se lever (!) et de vivre, cette mort aurait dû l’affaiblir ? Cette force vient à l’homme d’en haut… Peut-être pourrions-nous rajouter : il y a là un message d’espoir ; on dort, on meurt mais on se relève. On a la possibilité tous les matins de redémarrer à zéro. On ne meurt pas pour l’éternité. Si tu es mort aujourd’hui, dis-toi que demain la vie continue et tu pourras (re)vivre. Mourir un jour ce n’est pas mourir pour toujours. Laisse l’échec du passé derrière toi et projette-toi dans l’avenir.