Rav Yona Ghertman
Dans le chant bien connu de ‘Hanoukah « Hanérot halalou », nous récitons « (…) Ces bougies sont sacrées (kodech) et nous n’avons pas la permission de les utiliser, mais seulement de les regarder (…)». Le Shoul’han Aroukh détaille : « (…) Il est interdit d’utiliser les bougies de ‘Hanoukah, aussi bien le Shabbat qu’en semaine (‘hol), même pour vérifier des pièces ou pour les compter à la lumière. Cela est interdit même pour une utilisation sainte, comme l’étude de la Torah, mais certains l’autorisent dans ce cas (…) » (OH 673, 1).
En pratique, la controverse est réglée grâce à la bougie supplémentaire ou « shamash », placée de manière bien distincte des autres, afin de profiter de sa lumière sans soucis. Il importe néanmoins de réfléchir, sur le plan des idées, quant au pourquoi de ces deux avis divergents.
Le Rav Y.Y Weinberg s’exclame : « Tu n’as pas le droit de te servir du kodech dans un but et pour une utilisation profane (‘hol) ! » (Moadé Israël, p.134). C’est que le principe dépasse de loin les huit jours de ‘Hanoukah. Nous avons souvent la tentation de nous servir du kodech pour notre propre intérêt. Qu’il s’agisse des « rabbins-gourous » qui s’inventent des dons prophétiques pour asseoir leur ascendance sur les crédules, ou même des simples fidèles de Synagogue qui ne manquent pas de faire valoir leur pseudo-savoir pour s’imposer aux autres, les exemples sont nombreux. Aussi le Rav Weinberg nous avertit-il : « Tu n’en as pas le droit ! ».
Au-delà de la remontrance morale, simple mais salutaire, le Rav A. Weingort propose de réfléchir plus profondément à notre rapport entre Kodech et ‘Hol (Ga’halé-Esh, p. 135). La Guemara (Shabbat 68b) s’interroge sur le cas d’un juif perdu dans le désert sans repère temporel : comment doit-il pratiquer le Shabbat ? D’après une première réponse, il doit d’abord compter six jours, puis considérer le septième comme celui du Shabbat. D’après une seconde réponse, il doit adopter le comportement inverse : considérer le premier jour comme celui du Shabbat, puis compter les six jours suivants comme des jours de ‘hol.
D’après ce dernier avis, explique le Rav Weingort, il faut que l’homme s’habitue en premier lieu au kodech, afin d’être prêt à affronter le ‘hol. Mais d’après l’avis inverse, l’homme doit garder à l’esprit qu’il rentre dans un monde qu’il n’a pas créé, et qui ne dépend pas de lui. Il ne peut donc pas profiter du repos Shabbatique avant de s’être mesuré à la difficulté d’un monde subit.
Cette dernière explication rappelle une autre question de la Guemara : « Pourquoi Adam [le premier homme] est-il rentré dans un monde déjà prêt ? » (Sanhédrin 38a). Il y a deux manières de réfléchir au problème : si l’homme est méritant, il ressent de la gratitude que tout soit déjà à sa disposition. Mais s’il ne l’est pas, on lui rappelle que même une fourmi l’a
précédé dans l’ordre de la création. Et c’est là une problématique philosophique majeure, poursuit le Rav Weingort : nous rentrons dans un monde qui subsistait très bien sans nous, puis quand nous en partons, il continue à se maintenir sans notre apport… De quoi cogiter sur nos égos bien développés… certes. Mais alors interrogeons-nous : à quoi servons-nous vraiment ?
N’ayant pas la prétention de répondre à cette difficile question, et étant peu friand des réponses sorties d’une pochette surprise, je préfère la laisser en suspend et reprendre notre interrogation première : pourquoi deux avis existent-ils quant à l’utilisation des bougies de ‘Hanoukah pour une occupation kodech telle l’étude de la Torah ?
Il me semble que la définition d’une « utilisation personnelle » est sujette à débat. Personne ne nie que le « kodech » ne doit pas servir nos préoccupations «‘hol ». Cependant, lorsque les intérêts se mêlent, la frontière entre l’un et l’autre devient mince. On peut considérer que le simple fait d’étudier la Torah, par exemple, peut se confondre avec la mitsva d’allumer, car au final, les deux sont dirigées vers Dieu. Or d’un autre côté, l’allumage répond à des exigences précises, dont le rappel du miracle, qui peuvent ne pas être en adéquation avec l’utilisation « kodech » préférée par son auteur.
La Halakha n’est finalement tranchée que par l’appel au « minhag » (coutume)… une manière de nous rappeler que les éléments de réponses au débat restent subjectifs, et l’introspection sur nos véritables buts constamment d’actualité.