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La Matsa, le Pain de l’Espoir

Rav Imanouel Mergui

Le soir du seder nous mangeons la Matsa pour se rappeler que D’IEU nous a fait sortir d’Egypte avec hâte. Pourtant au début de la Hagada nous disons que la Matsa rappelle le pain de l’esclavage. Certains expliquent : au début de la Hagada nous n’avons pas encore raconté la liberté alors la Matsa rappelle l’esclavage, mais au terme de la Hagada après avoir parlé et vécu la liberté on note que la Matsa rappelle la liberté. D’après cela il sort une idée géniale : il n’y a pas deux éléments l’un pour rappeler l’esclavage et l’autre rappelant la liberté, c’et par le même élément qu’on note ces deux états, par conséquent la liberté se joue au-delà de l’aspect géographique et physique. C’est dans la conscience et l’esprit que se joue la différence entre ces deux états, à quoi tu penses lorsque tu manges la Matsa ?! La liberté se joue en notre for intérieur, quelles sont les idées et les pensées qui animent notre esprit !

La Matsa note l’état dans lequel D’IEU nous a sorti, c’est-à-dire de toute hâte. Pourquoi fallait-il que nous sortions vite ? Le peuple d’Israël avait atteint les quarante neuf portes d’impureté, il fallait qu’on soit vite libérée de cet état de peur de ne rencontrer la cinquantième porte qui nous aurait plongé dans la fatalité et l’impossibilité de s’en dégager. Il faut savoir, note Rav Eliezer Guinzbourg (Hagada Mésilot H’oh’ma Oumoussar page 131) c’est en chaque génération que D’IEU nous protège et s’empresse de nous libérer afin de ne pas tomber plus bas.

La Matsa avait été consommée avant même que nos Ancêtres étaient sortis et libérés, c’est en Egypte qu’ils avaient l’ordre de manger la Matsa, dès lors pourquoi nous disons qu’elle rappelle la façon dont ils étaient sortis ? Rav Guinzbourg (id. page 132) rapporte la réponse suivante : quel était leur mérite de connaître l’élan par lequel D’IEU les a fait sortir d’Egypte ? – C’est-à-dire qu’il y a la sortie d’Egypte dans sa forme mais également dans son fond, ici le fond de la sortie d’Egypte c’est l’état d’esprit par lequel nous avons été libérés, nommé h’ipazon la précipitation de la sortie, le clin d’œil de la liberté. Nous avons bénéficié de cet élan divin, parce qu’à notre tour nous avons réalisé l’ordre de la Matsa avec zèle et élan. C’est nous même qui avons déclenché la miséricorde divine par notre application du commandement de la consommation de la Matsa ! L’intervention divine nous parvient en effet miroir de la manière dont nous réalisons la Tora ! Ce sera donc par notre enthousiasme de réaliser la mitsva de la Matsa que nous connaîtrons la Guéoula finale, c’est dans cet état d’esprit que nous devons manger la Matsa. Fort est de constater que le texte de la Hagada dit quelque chose d’incroyable ‘’leur pate n’avait pas été fermentée JUSQU’A ce que se dévoile sur eux le roi, roi de tous les rois Hakadoch Barouh’ Hou’’ – il est dit clairement ici que c’est par le fait qu’ils n’avaient pas laisser leur pain fermenté qu’ils ont déclenché le dévoilement de D’IEU ! C’est tout simplement incroyable, n’attends pas que D’IEU se dévoile à toi, sois actif et déclenche la manifestation divine. A un moment c’est bel et bien Israël qui incite la liberté ! L’élan de l’homme dans son implication des commandements de D’IEU ne laisse pas D’IEU insensible ! 

D’où leur est venu l’élan avec lequel ils fabriquèrent et consommèrent la Matsa ?

Rav Yitsh’ak Zilberstein (Hagada H’achouké H’emed page 260) explique : la EMOUNA – ils ont eu la foi de tout quitter pour faire partie des rangs de D’IEU. Ils n’ont rien emporté avec eux, et n’ont même pas laisser leur pain fermenté. Comme le note la Hagada ‘’nous mangeons la Matsa car la pate de nos ancêtres n’avaient pas eu le temps de fermenter etc. et ils n’avaient RIEN emporté vec eux pour le voyage’’. Si l’homme avance avec la foi alors rien ne lui est difficile, il se trouve en permanence dans le palais royal, le roi des rois. La Matsa c’est le zèle, et le zèle c’est l’élan, et l’élan c’est la foi !

La foi c’est de croire fermement que l’intervention divine peut surgir à tout temps de façon spontanée et inattendue, le juif n’a pas le droit de perdre cette foi !, s’exclame Rav Goal Elkarif (Hagada Sas Béimratéh’a page 462). La sortie d’Egypte nous apprend qu’on n’a pas le droit de désespérer, quatre vingt six années d’esclavage s’achèvent en un instant. D’un point de vue spirituel le peuple d’Israël avait atteint le seuil de l’impureté et de cette obscurité ils bondissent vers la foi la plus totale jusqu’à arriver au Sinaï pour recevoir la Tora. D’un point de vue matériel le schéma est identique, du pire ils arrivent au meilleur. Lorsque quatre-vingts pour cent meurent durant la plaie de l’obscurité cela aurait dû engendrer une déprime collective et un relâchement, pourtant les vingt pour cent restant ont continué à croire au meilleur et ont eu foi totale en D’IEU. La Matsa que nous consommons le soir de Pessah’ a pour objectif d’ôter de notre esprit tout souci et angoisse. La Matsa nous apprend que la délivrance est à même d’arriver de la façon la plus soudaine, conclut Rav Elkarif. Il y a ici un point de réflexion merveilleux, l’échec de l’autre ne doit pas nous conduire à penser au pire, même si la majorité du peuple s’écroule, même si ça ne marche chez personne cela ne veut pas dire que chez nous, chez moi, ça ne marchera pas ! C’est ça la émouna, s’en remettre à D’IEU qui peut me libérer en tout temps, tout lieu. La tragédie de l’autre n’est en rien une preuve que ça doit être ainsi chez tout le monde !

Serions nous étonner de constater que la Tora condamne sévèrement celui qui consomme du h’amets durant Pessah’ (voir Chémot 12-15 et 19), s’écrie le Saba de Kelm (Hagada Kelm page 55). On peut s’étonner de la raison pour laquelle D’IEU a choisi de les faire sortir d’Egypte précisément au moment où leur pain n’avait pas fermenté, poursuit-il ? Ils devaient montrer que leur recherche n’était pas matérielle, et par cela ils témoigneraient de leur attachement aux choses essentielles et existentielles de la vie. N’oublions pas que la source de tous les drames de l’homme se trouve dans sa recherche des plaisirs de ce monde – la taava. Celle-ci conduit l’homme dans un état soucieux permanent, il n’a pas tout ce qu’il désire et profite peu de ce qu’il a parce qu’il pense à ce qu’il n’a pas… Il manque de simh’a ! Celui qui a confiance en D’IEU est entouré de bonté permanente (Téhilim 32-10), parce qu’il est toujours heureux de ce qu’il a et n’est pas gêné de ce qu’il n’a pas… La vraie liberté est celle de l’esprit ! Vide de tout souci et angoisse. C’est la raison pour laquelle D’IEU les a fait sortir précisément au moment où leur pain n’avait pas fermenté, les plaisirs du corps sont un frein pour la liberté. Ce n’est que dans l’absence de recherche de plaisirs matériels que l’homme obtient tout. De ce fait la gravité de la consommation du h’amets est telle parce que la recherche du h’amets témoigne de notre attachement excessif à la matière. Toute la liberté se joue là.

De ce commentaire il ressort un point sensationnel, avant de sortir d’Egypte les enfants d’Israël ayant atteints un niveau si bas et tant déplorable qu’ils n’avaient qu’un seul exercice à opérer : retrouver la joie, la simh’a, et retourner à l’origine de la vie, cette vie qui nous ramène à l’essentiel. L’esclavage de nos désirs et pulsions nous a conduit aux années d’esclavage et de souffrance, car là est toute la souffrance de l’homme : constater qu’il ne peut combler tous ses désirs. La Matsa témoigne de ce détachement des choses superflus. Là est toute la liberté. Lorsque l’homme abuse de la matière il s’enfonce dans l’esclavage et touche les quarante-neuf degrés d’impureté. Le moment de la non-fermentation de la matière est le moment mûr pour rejoindre les fins projets divins et tout Son dévoilement qui promet toutes les délivrances.

Le Imré H’aïm (Hagada Mékarvan Latora Rav Toïsig page 436) disait : on ne mange pas la Matsa qu’avec les dents, chose que même un animal peut faire, nous la mangeons avec notre pensée, c’est la raison pour laquelle nous disons dans la Hagada : pourquoi mangeons-nous la Matsa ? Parce que !

Une réflexion géniale de Rav Méir Lehman (Hagada Méir Nativ page 187) nous permettra de sublimer la Matsa : La Matsa dans toute simplicité devient le symbole du dévoilement divin, c’est précisément cette simplicité qui contient le sceau divin. Alors que les peuples érigent des monuments pour marquer leur force et leur victoire et ils les exhibent aux yeux de tous, avec le temps leur puissance s’estompe et s’évapore, il faut les nommer plutôt ‘’les monuments de l’oubli’’. Ceux qui les érigent pensent qu’e dressant ces monuments ils sont acquittés de leur devoir de mémoire, ils pensent que la pierre porte la mémoire, alors que dans la Tora c’est l’élan de l’homme qui revit la mémoire. Un simple bout de galette marque la victoire et avec ce petit bout de galette on obtient davantage de bénéfice que par un monument des plus impressionnants. Cette mémoire est vécue au point de pouvoir ressentir l’effet de la liberté à chaque génération, comme le dit la Hagada ‘’chacun doit voir comme s’il était lui-même sorti d’Egypte’’. C’est la perpétuité de la mémoire revécue chaque année qui est à retenir. La Matsa dans son aspect le plus discret, sans faux-jeu extérieur, renferme l’espoir d’Israël. La Matsa nous rappelle que l’homme ne doit pas se perdre dans le paraître et tout ce qui est superflu. C’est cette simplicité qui nous conduit à la liberté. Da’illeurs ce qui distingue le h’amets de la matsa n’est que son extériorité alors qu’à la base ils sont composés des mêmes éléments – farine et eau !

Seuls les grands hommes marquent l’histoire et la font avancer, non pas les grands édifices !

Terminons cette étude par une réflexion concrète sur la Matsa ; Dans la Hagada Arzé Halévanon (volume II page 199) au nom de Rav Guédalya Schorr on peut lire : chaque être humain connaît des moments dans sa vie où il ressent l’élan de tout recommencer à nouveau. Il lui vient un flash d’en haut qui l’aide à s’élever de sa bassesse. Que doit faire l’homme à cet instant ? S’empresser, sauter sur l’occasion – comme on dit, et exploiter cette opportunité pour faire un bond. Si à cet instant l’homme commence à réfléchir il laisse l’occasion fermenter et perdre les opportunités. C’est parfois l’exercice du yetser hara de nous faire croire qu’il faut avancer par étapes, mais là l’homme n’avance plus. Bondis ! C’est en particulier pendant la fête de Pessah’ qu’il nous faut faire un sursaut. Après le saut nous avons les quarante-neuf jours du Omer pour effectuer un travail détaillé de chaque degré, mais il nous faut avant tout cabrioler ! Chacun se doit et peut sauter sur l’occasion. C’est l’enjeu de la Matsa à laquelle on ne lui laisse pas le temps de fermenter, pour nous rappeler qu’il ne nous faut pas trop penser qu’on a tout le temps devant nous pour aller mieux. N’attends pas demain pour croire au meilleur.

Accueillons la fête de Pessah’ avec cette mitsva exceptionnelle qui se présente à nous : la Matsa. Ne nous perdons pas dans des discours futiles de savoir si elle est trop chère, pas assez croustillante etc. On peut, à travers ces trois fois trente grammes de Matsa que nous ingurgitons chaque Seder, réécrire notre histoire et surtout garder l’espoir du meilleur. Mangeons la dans cette perspective et bénéficions de tout ce que D’IEU a à nous offrir à travers la Matsa.

N’oublions pas que le Talmud (Pésah’im 115B) demande pourquoi la Matsa s’appelle ‘’leh’em ôni’’ ? Et de répondre : ‘’leh’em chéonim alav dévarim harbé’’ – le pain sur lequel nous parlons grandement. Il y a encore beaucoup à dire et commenter sur la Matsa, parler pour se libérer. Non pas la parole libre mais la liberté verbalisée. La liberté de la parole est l’expression de ceux qui n’ont rien à dire, mais la parole libératrice est celle qui permet à l’homme de choisir ses mots pour remédier à ses maux. On voit dans la Matsa la faculté de la parole correcte en plus de son aspect de consommation. La parole, ce qui sort de la bouche, dépend de ce qu’on y introduit…

Bonne fête de Pessah’.

Bonne Matsa !