Rav Yona Ghertman
Question : Je vais bientôt me marier. Les cours de préparation au mariage portent surtout sur les lois de nidda et sur le jour de la ‘houpa, mais qu’en est-il du Shabbat ‘Hatane ? Est-ce une obligation ? Y a-t-il des lois et des coutumes spécifiques à connaître en cette occasion ?
Réponse :
1/ Source et étendue de la célébration
Le Shabbat ‘Hatane obéit à diverses lois et coutumes. Bien qu’il n’y a pas de stricte obligation d’organiser un Shabbat particulier en cette occasion, il s’agit d’un minhag ‘olam (coutume généralisée) qui se retrouve dans toutes les communautés. Il y a cependant une différence notoire entre les Ashkénazes et les Séfarades, puisque les premiers le célèbrent avant le mariage, alors que les seconds le font le Shabbat suivant la cérémonie de la ‘houppa. Malgré tout, la source de cette coutume est la même pour les uns comme pour les autres. Certains Richonim rapportent en effet le Midrash pour souligner l’importance de ce moment :
Le Roi Salomon vit que la qualité de guémiloute ‘hassadim (bonté) était très appréciée par Dieu. Lorsqu’il construisit le Temple de Jérusalem, il fit alors placer deux portes : l’une pour les ‘hatanim et l’autre pour les endeuillés, le peuple s’installant entre les deux pendant Shabbat. Celui qui rentrait dans la porte réservée aux ‘Hatanim était accompagné par les autres hommes qui proclamaient : « Celui qui habite dans cette maison sera réjoui par des fils et des filles ! ». Celui qui rentrait dans la porte réservée aux endeuillés était tout de suite réconforté. Lorsque le Temple fut détruit, on institua que les ‘hatanim et les endeuillés aillent dans les Synagogues et les maisons d’étude pour que les gens sur place réjouissent les premiers et consolent les seconds, afin que tout Israël accomplisse la mitsva de guémiloute ‘hassadim.
(Pirké déRabbi Eliézer ch. 17, cf. Enc. Talmudique s. v. « ‘hatan vékala » n. 305).
On voit donc de ce texte que la mitsva repose surtout sur ceux qui sont en contact avec un ‘Hatan durant Shabbat. Il s’agit avant tout de l’honorer et de le réjouir afin qu’il se sente soutenu dans ce nouveau passage de la vie. Pour ce faire, plusieurs coutumes ont été mises en place à différentes époques et dans différents lieux.
2/ Les minhaguim du Shabbat ‘Hatane
On a l’habitude de faire monter le ‘Hatane à la Torah. Il a préséance sur les autres personnes présentes à la Synagogue, même par rapport à un Bar-Mitsva ou à une personne présente pour un yar-tsait (anniversaire de décès). Il doit donc monter après le Lévy succédant au Cohen si celui-ci est présent. En l’absence de Cohen, il sera le premier appelé au Sefer-Torah (Béour Halakha 126). Certains ont pour habitude de l’appeler en Maftir, afin qu’il lise la Haftara (cf. Enc. Talm., ibid., n. 15).
Lorsqu’il arrive à la téba, On lui lance des noix (ou des sucreries) et on chante en son honneur (Ibid., n. 16-17).
La veille, certains ont l’habitude de rassembler les gens de la communauté dans la maison du ‘Hatan ou de la Kala pour y manger. D’autres les amènent à la rencontre de Rabbanim afin qu’ils leur donnent une bénédiction (Ibid., n.37-38).
Bien que les Ashkénazim fassent le Shabbat ‘Hatane avant la ‘Houpa, une ancienne coutume veut que les jeunes gens prient chez le ‘Hatane et la Kala le vendredi soir suivant le mariage. Le Samedi matin, les notables de la ville viennent chercher le ‘Hatane pour l’amener à la Synagogue. Il est alors placé à une place d’honneur. Les marques de respect et de louanges à son égard se poursuivent même après l’office. Certains ont l’habitude que les femmes procèdent de la même manière avec la Kala (Ibid., n.301-304).
Il existe également plusieurs coutumes quant aux prières et chants liturgiques associés à ce jour. Chez les Séfaradim, beaucoup ont l’habitude de lire le passage de la parasha « ‘Hayé Sarah » racontant les recommandations d’Avraham Avinou à l’égard de son serviteur afin qu’il choisisse une épouse adéquate pour son fils. Plusieurs raisons sont avancées pour justifier cette lecture spéciale. En tout état de cause, on comprend aisément que le récit de la première « rencontre juive » de l’Histoire a sa place lors du Shabbat ‘Hatane.
Les formalités de cette lecture diffèrent selon les communautés. Certains sortent un Sefer-Torah spécifique, alors que d’autres se contentent de lire le passage dans un ‘Houmash ou de le réciter par cœur. D’autres nuances existent également selon les endroits. Il en va de même quant à la lecture de la Haftara.
(cf. Ibid., n.318-337 et Y. Yossef, Sova séma’hote 20, 5).
En ce qui concerne les coutumes pratiquées dans l’enceinte de la Synagogue, on rappellera qu’une même règle impérative existe dans toutes les communautés : Il appartient au Rabbin de décider quels minhaguim appliquer ou non, et les fidèles doivent se plier à son avis.
Prenons note enfin d’une coutume assez originale, consistant à ce qu’on interrompe le ‘Hatane lorsqu’il commence son divré-Torah lors du repas. Plusieurs raisons sont avancées, on en mentionnera une : Si un ignorant épouse la fille d’un érudit, le repas n’est pas considéré comme une séoudate mitsva. C’est pourquoi par modestie, tout ‘Hatan commence un divré-Torah afin de s’assurer que le repas sera tout de même qualifié ainsi. Cependant les convives commencent de suite à l’interrompre, comme pour lui signifier qu’il n’a pas besoin de se considérer comme un ignorant, puisqu’il est en fait un véritable talmid ‘hakham… (cf. Y. Yossef, Ibid. 17, 34).
2/ Les halakhote à respecter lors du Shabbat ‘Hatane
Nous avons mentionné le minhag de jeter des noix ou autres aliments près du ‘Hatan lorsqu’il monte au Sefer-Torah. Il faudra faire attention à ce que la nourriture n’apparaisse pas comme dégoutante après avoir été jetée. Dans le cas contraire, il sera interdit d’y goûter (MB 171, 4). Par exemple, si des bonbons ont été jetés et qu’ils ont été écrasés, on ne pourra plus les manger ni les donner aux enfants.
Quant au fait même de jeter de la nourriture, bien qu’une telle chose soit habituellement interdite, cela est autorisé durant le Shabbat ‘Hatane car il s’agit par-là de participer à la mitsva de réjouir le ‘Hatane et la Kala (Beth-Yossef Ibid.).
Certains ont également l’habitude de jeter de l’eau de rose ou autre parfum sur le ‘Hatane lorsqu’il monte à la Torah ou qu’il porte le Sefer-Torah. Un tel minhag est problématique car si le produit parfumé arrive sur des habits, il y a là création d’une source d’odeur, ce qui est interdit Shabbat d’après la majorité des Richonim (Y. Yossef, hilkhote Shabbat 303, 11).
L’essentiel de la discussion halakhique concernant le Shabbat ‘Hatane est relative aux danses et à la musique :
On enseigne dans la Michna qu’il existe une interdiction rabbinique de taper des mains en rythme et de danser durant Shabbat et Yom-Tov (Betsa 36b). La Guemara va expliquer que ces actions sont interdites car elles sont associées à la musique. Or comme le précise Rachi, on craint qu’on en vienne à réparer un instrument de musique pour accompagner le battement des mains ou la danse, et que l’on ne transgresse alors l’interdiction de fabriquer un ustensile (métaken mana).
Selon Tossfot (sur Betsa 30a), une telle interdiction n’avait cours qu’à l’époque à laquelle il était fréquent qu’on sache fabriquer des instruments de musique. Cette compétence s’étant perdue par la suite, la raison du décret initial n’existe plus, ce qui rend désormais permis la danse et le fait de taper des mains en rythme. Cet avis est rapporté par le Rama (OH 339, 3) mais les décisionnaires askhénazes postérieurs sont en désaccord sur la possibilité de le suivre dans la pratique : Le Aroukh haShoul’han le permet totalement à priori (Ibid. 7-9), alors que la majorité des autres auteurs ne l’autorisent que dans certains cas bien précis.
Le Shoul’han Aroukh, suivi par les Séfarades ne tient pas compte de l’avis de Tossfot, mais de celui des autres Richonim considérant que l’interdit reste d’actualité même à l’époque post-talmudique. Il autorise cependant à taper des mains d’une manière inhabituelle. On trouve malgré tout une exception à cette règle le jour de Sim’hat Torah, en raison de la joie ressentie et du fait que l’interdit est un « shvoute », un interdit rabbinique pouvant être annulé dans certains cas bien définis. Néanmoins le Michna-Beroura précise que cette autorisation ne vaut que pour Sim’hat Torah mais pas pour les autres manifestations de joie, même dans le cadre d’un Shabbat ‘Hatan (OH 339, 8).
Les avis des décisionnaires suivis actuellement sont partagés sur le sujet. En voici quelques-uns :
-D’après le Michna-Beroura et le Shoul’han Aroukh haRav (OH 339, 2), il ne pourra pas y avoir d’autorisation particulière pour le Shabbat ‘Hatan, mais uniquement pour Sim’hat Torah. Le Shoul’han Aroukh haRav précise cependant qu’il faut laisser faire ceux qui se permettent de danser et de taper des mains. En effet il s’agit chez eux d’une coutume bien ancrée (hana’h lahem léIsraël) et ils peuvent toujours s’appuyer sur l’opinion de Tossfot.
-D’après le Chmirate Chabbat kéhilkhata (1, 16, 42-43), il est interdit de danser et de taper des mains sauf si cela se fait d’une manière inhabituelle ou bien dans le cadre d’une mitsva. Contrairement aux deux précédents décisionnaires, il ne limite pas la « mitsva » à Sim’hat Torah, ce qui laisse entendre qu’il sera plus permissif dans le cadre d’un Shabbat ‘Hatane.
-D’après le Aroukh haShoul’han ce sera évidemment autorisé puisqu’il autorise a priori de danser et taper des mains durant Shabbat.
-D’après le Yalkoute Yossef (Sova Séma’hote 20, 9-13), il faudra faire attention à ne pas danser ni taper des mains normalement, mais d’une manière inhabituelle. Le fait de marcher en rond par exemple, ne constitue pas une véritable danse tant que les pieds n’esquissent pas un semblant de véritables pas de danse.
-D’après le Rav Tsion Aba Shaoul, celui qui danse et tape des mains en rythme a sur qui s’appuyer, mais uniquement pour Sim’hat Torah et le Shabbat ‘Hatan (Or léTsion, rapporté dans Ibid.)
Pour terminer, rappelons que le Shoul’han Aroukh rapporte un avis permettant de demander à des musiciens non-juifs de jouer de la musique exclusivement pendant le Shabbat ‘Hatan. Le Rama est encore plus permissif, puisqu’il autorise le musicien non-juif à réparer un instrument qui se serait cassé à cette occasion (O.H 338, 2). L’idée est que la joie de l’évènement ne saurait être complète sans musique. On autorise donc exceptionnellement un « shvoute » en raison de cet intérêt supérieur qu’est la réjouissance du ‘Hatane et de la Kala.
Les décisionnaires postérieurs émettent tout de même certaines réserves quant à cette autorisation (voir Y.Y Sova Séma’hote 20, 11).
Conclusion :
Bien qu’il n’y ait pas un chapitre particulier traitant du Shabbat ‘Hatane dans le Shoul’han Aroukh, plusieurs halakhote s’y appliquent, en plus des nombreuses coutumes existantes. Il s’agit d’un évènement important qui a sa place dans la Halakha. Il ne faudra donc pas voir uniquement le Shabbat ‘Hatane comme l’occasion de bien festoyer, mais aussi comme un moment permettant de s’élever dans la Torah en étudiant et respectant les lois liées à ce jour.