Rav Imanouël Mergui
Si certains ignares gobent que le ‘’fil rouge’’ est un remède contre le mauvais œil c’est qu’ils n’ont
tout simplement pas compris qu’est-ce que le mauvais œil. Voici un regard plus ‘’toraïque’’ sur la question
de l’œil, à travers les passages du Talmud et ses exégètes.
Au traité Bérah’ot 20a le Talmud nous raconte : « le Maître Rabi Yoh’anan, qui était un très bel
homme, se tenait devant la porte du mikwé et disait qu’ainsi en remontant du mikwé les femmes
contempleraient sa beauté pour avoir à leur tour de beaux enfants !!! Les Sages lui demandèrent s’il
n’avait pas peur du ‘’mauvais œil – ayin hara’’ ? Il leur répondit : je suis descendant de Yossef sur lequel le
ayin hara n’a pas d’emprise comme dit le verset dans Béréchit 49 à propos de Yossef ‘’ben porat âlé ayin –
le fils de celui dont l’œil n’est pas absorbé’’. Rabi Yosse fils de Rabi H’anina le déduit d’un autre verset ‘’et
ils se multiplieront comme les poissons’’, de même que les poissons ne sont pas soumis au regard
puisqu’ils sont couverts ainsi la descendance de Yossef n’est pas soumise au regard. Aure explication :
Yossef a refusé de nourrir ses yeux de ce qui ne lui appartenait pas, lorsqu’il ne s’approcha pas de la
femme de Potifar, ainsi aucun œil ne peut s’en prendre à lui ».
Ce passage est le premier dans le Talmud qui traite de la question du mauvais œil on pourra en
déduire plusieurs points. Tout d’abord Rabi Yoh’anan exposé sa beauté puisqu’il se présentait devant les
femmes pour qu’elles le contemplent, le ayin hara n’est donc pas se cacher des autres mais montrer
exactement aux autres ce qu’on est. Poursuivons pour mieux comprendre ; interrogeons nous sur ce
comportement quelque peu indécent du Maître que de se présenter devant les femmes – qu’il soit bien
clair et bien entendu l’auteur du présent article ne prétend pas se permettre de remettre en cause l’un des
plus grands Maîtres des deux Talmud qu’est Rabi Yoh’anan ! L’interrogation présente n’est qu’un exercice
analytique de ce fait rapporté dans le Talmud pour mieux le saisir ou tout au moins en tirer une leçon à
l’échelle de celui qui vous présente ces lignes… Plus encore, à part le fait que de se présenter devant des
femmes et de les inviter à regarder sa beauté pour qu’à leur tour elles aient des enfants aussi beaux que
lui, Rabi Yoh’anan se vente-t-il de sa beauté ? Celle-ci n’est pas éphémère, voire mensongère, voire même
inutile qui plus est pour un Maître ? C’est bien ce que nous avons dit, bien au contraire Rabi Yoh’anan
voulait dire qu’on pouvait voir sa beauté puisque ce n’est pas quelque chose d’essentiel en lui – sa beauté
n’est pas lui, il n’existe pas à travers elle, ce faisant il pouvait la montrer sans avoir peur de subir le sort des
yeux ‘’voyeurs’’, ‘’jaloux’’, ‘’mesquins’’. En d’autres termes Rabi Yoh’anan voulait banaliser sa beauté,
dédramatiser le regard des autres. En fait ce qu’on ne montre pas c’est bien ce qu’on veut conserver en
valeur, voyez ma beauté parce qu’elle n’est pas essentiel – disait le Maître, par conséquent il ne pouvait
être atteint du mauvais œil puisqu’il démystifié sa beauté il éloignait de facto le regard malsains… !
Cette histoire est également rapporté au traité Baba Métsiâ 84a, on peut constater un rajout « le
Maître disait que les femmes me regardent pour qu’elles aient des enfants beaux comme moi et ‘’qui
étudient la Tora comme moi’’ ! ». Il voulait dire : qu’ils me recopient dans ma beauté mais également dans
ma Tora, ou, mieux encore, qu’ils prennent ma beauté à la condition qu’ils prennent également ma Tora.
Parce qu’en prenant ma Tora ils se rendront compte que la beauté n’est pas à jalouser et
automatiquement ils seront à l’abri du regard des autres mais surtout ils seront à l’abri de ne pas regarder
les autres !
Si on suit ce raisonnement on peut s’interroger sur l’explication proposée par Rabi Yosse voulant
que le ayin hara ne se trouve pas chez les poissons qui sont cachés du regard, or ceci contredit ce que nous
venons de dire que Rabi Yoh’anan se montrant aux femmes démystifié leur regard ? Pour répondre à cette
contradiction je vous propose l’idée suivante : ce qui est vital comme le fait que les poissons restent
couverts dans l’eau doit être caché, par contre ce qui est provisoire, fortuit, secondaire, doit être dévoilé
(comme la beauté pour les hommes au moins…).
La troisième explication de la guémara veut que le mauvais œil ne se trouve pas chez qui ne
regarde pas ce qui ne lui appartient pas. En d’autres termes celui qui regarde est regardée, par contre pour
ne pas être regardé il faut commencer par ne pas regarder soi même les autres. Si mon œil attaque l’œil de
l’autre sera également une arme contre moi. Si on peut voir ici l’idée classique de ‘’mesure pour mesure’’
qui veut qu’on subisse ce qu’on fait subir aux autres, dans notre contexte on pourra l’expliquer très
simplement : si je regarde les autres c’est que je donne du poids à ce que je regarde donc je donne moimême du poids à ce que l’autre regardera de moi, par contre si je n’oriente pas mon regard vers ce qui ne
peut être ma possession c’est que je reconnais qu’il y a des choses que je ne peux pas prendre pas même
par le regard, je suis donc immunisé contre le regard des autres. Chez Yossef il y a quelque chose de
particulier il refusait de voir ce que l’autre voulait lui montrer, c’est-à-dire que la femme de Potifar voulait
se montrer à Yossef et même cela Yossef refusa de voir puisque ça ne lui appartenait pas, à plus forte
raison qu’il ne fut pas chercher par soi même à voir le affaires d’autrui.
Rav Dessler zal (vol. 4 page 6) explique : les poissons vivent dans un univers différent cela nous
apprend qu’on doit, vis-à-vis de l’autre, vivre dans un univers détaché ce qui nous conduira à ne pas le
regarder et taira sa jalousie ! C’est dire que le vrai problème du ayin hara n’est pas de savoir comment se
protéger du regard de l’autre mais comment protéger l’autre de mon regard, comment retenir mon regard
pour l’orienter vers moi-même et non vers l’autre. Le H’ida explique que celui qui met mon œil sur l’autre
ceci se retournera contre lui-même… C’est donc se protéger de son propre mauvais œil !
Au traité Baba Métsia Rachi explique l’expression ‘’âlé ayin’’ pour exprimer que Yossef est exclu du
ayin hara : il faut lire ôlé ayin – ceux qui montent sur l’œil et non l’œil qui monte sur eux ! C’est intéressant
car il est écrit là que le mauvais œil est lié à l’orgueil, voir l’autre de haut… Yossef plus petit que ses frères a
su se grandir jusqu’à devenir le roi, il leur montre bien qu’il ne va pas devenir ce qu’eux voient en lui. ‘est
cela l’enjeu du mauvais œil se limiter au regard de l’autre, d’ailleurs le ayin hara ne marche que chez ceux
qui en tiennent compte parce qu’ils se voient comme les autres les voient, il faut en fait se défaire du
regard de l’autre, il faut vivre à travers son propre regard, celui que j’ai moi même de moi-même !…, à la
condition que je ne me mette pas l’œil moi-même en me limitant dans le regard que j’ai de moi-même. Il y
a d’ailleurs une faculté incroyable que D’IEU a fait dans la conception de l’œil : il est un tout petit organe
qui peut néanmoins englober tout le contenu de la planète !!! Voir c’est élargir son champ de vision.
Mettre l’œil c’est réduire le regard, c’est anéantir la fonction même de mon œil…