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Le Moi !

Rav Imanouël Mergui

L’homme se définit de plusieurs façons. En réalité l’être humain est composé d’une multitude de composants qui vont faire de lui ce qu’il est. Si les sciences telles la psychanalyse, la psychologie, la philosophie, la médecine etc. se sont penchés sur cette question qui voyage avec l’homme dans le temps ; il est impératif de se demander ce que la Tora et ses Maîtres ont à nous enseigner sur ce sujet. Il y a ici et là des textes fabuleux qui se sont consacrés à cette étude aventurière, tel les écrits de Rav Israël Salanter ou encore les trésors que nous a offerts notre Grand Maître Rav Chlomo Wolbe dans ses ouvrages. L’étude proposée ici ne se vantera pas de parcourir les mille et une facettes qui constituent le moi dans la Tora. Elle rappellera dans un premier temps que le moi – le ‘’ani’’ est un des premiers mots que tous prononcent au début de la journée, immédiatement au réveil en récitant ‘’modé ani’’.

Vous ne lirez pas ici une étude scientifique du moi, mais une étude basée sur un enseignement extraordinaire tiré des Pirké Avot chapitre 1 michna 14. Notons avant tout que si la Tora est un recueil de lois divines et de messages divins, cette Tora parle à l’homme en tant que ‘’moi individuel et existentiel’’. Aucun élément, aussi infime soit-il, de l’être humain n’est laissé de côté, n’est bafoué ou étouffé. Le moi, dans ses recoins les plus subtiles et dans toutes ses composantes, a sa place et la Tora lui parle. Disons le simplement : ceux qui pensent que la Tora demande à l’homme de se soumettre à la parole de D’IEU sans se préoccuper de ce que je suis et ce que je ressens, sont des gens qui 1) ignorent la Tora, 2) ignorent tout d’eux-mêmes ! La Tora ne demande pas à l’homme de se soumettre à la parole divine en lésant ce qu’il est. D’IEU a composé l’homme par des milliers de substances elle ne peut ensuite dire à l’homme de ‘’se’’ laisser de côté, la chose est évidente et il est absurde de penser le contraire ! Quelle place la Tora a réservé à chaque particule de mon être ?!, c’est la question à laquelle il faut s’interroger, et y trouver des réponses. Je proposerais ici un écho d’ordre général, à travers la réflexion d’un enseignement des Maîtres, qui traité du moi et nous invite à prendre conscience du moi absolu – individuel et existentiel.
« im eine ani li mi li « , enseigne Hilel – « si je ne suis pas pour moi, qui sera pour moi ?! ». Le moi est ici positionné face à lui-même. Il est à la fois responsabilisé et encouragé. Personne ne peut rien pour toi, et seul toi-même tu as le potentiel et les outils de développer le moi qui est en toi.

Rachi voit dans cet enseignement un conseil donné à l’homme pour qu’il acquière des mérites dans sa vie par ses propres moyens, voilà que nul homme ne peut réaliser les mitsvot à la place de l’autre, conclut-il. De toute évidence l’être humain cherche le ‘’bien’’, le ‘’bonheur’’, le ‘’positif’’, les ‘’mérites’’ ; il a du mal à le trouver. Il attend que les autres fassent quelque chose pour lui. C’est bien là son erreur, fatale ! Le bonheur est en toi. Tu as les capacités de réaliser la voie de la Tora, celle qui te conduira au mérite absolu.

Selon Rambam il faut voir dans cette michna le conseil qui est donné à l’homme de s’élancer dans la vie par lui-même : si tu ne te réveilles pas personne ne pourra te réveiller. L’homme est animé du libre arbitre ce qui implique qu’aucune énergie dans le monde ne l’oblige à suivre une tendance ou une autre, s’écrit-il. Intéressante analyse, en réalité l’homme pense qu’il est plein d’idées et qu’il a plein d’énergie mais que les autres l’empêchent (ou l’encouragent) à devenir lui-même. C’est encore là une erreur fatale, n’attend pas que les autres te bougent dans la vie. L’énergie est en toi pour rester éveiller et ne point t’endormir. Reste à l’écoute de toi-même et développe le moi latent et enfoui qui t’anime. N’attends rien des autres pas même de la reconnaissance, des applaudissements, des éloges. Cours sans regarder qui te suit. Rabénou Yona rajoute : même s’il peut arriver que certaines personnes te stimulent dans la vie ceci reste provisoire et non constant. Seul le moi qui est en toi sera à même de te pousser de façon permanente.

Rav Itsh’ak Abrabanel note toutefois un point important qu’on pourrait traduire ainsi : lorsque tu te tournes vers toi-même ne te trompe pas entre le moi réel et le moi imaginaire – ne fais pas les choses pour t’enorgueillir mais pour te réaliser ! Cherche dans la Tora ce qui te parfait. Il me semble de rappeler ici que le plus beau salaire sera celui de se voir évoluer. La plus grande satisfaction est de trouver dans la Tora, son étude et sa pratique, les éléments qui feront que je vive dans le moi et non dans l’émoi… L’orgueilleux est celui qui attend comment l’autre va le regarder. Le moi est celui qui attend de voir comment son moi se parfait.

Rav Moché Almochnino note une idée intéressante : Hilel veut ici inviter l’homme à ne pas vivre comme un assisté. C’est bien d’ailleurs un problème que l’homme aime combattre, il n’aime pas qu’on le prenne pour un assisté et la société refuse, ici à juste titre ceux qui se replient sur les autres. On a du mal à aider ceux qui veulent qu’on fasse tout pour eux. Par contre lorsqu’on se prend en main on reçoit naturellement de l’aide de tout le monde. Le Sfat Emet poursuit cette idée : nos Sages disent ‘’haba létaher mésayéine oto’’ – celui qui vient vers la purification on l’aide ! Qui l’aide ? D’IEU et toutes ses créatures. Par contre si l’homme ne vient pas, il ne reçoit d’aide de personne, pire encore ils seront tous contre lui.

Le Midrach Chmouel trouve dans les paroles de Hilel la prise de conscience de la valeur du temps ; il explique : prends-toi en main dans ta jeunesse lorsque tu possèdes encore toute ton énergie et où tu as encore la possibilité d’exploiter toutes tes potentialités comme tu le conçois, car dans ta vieillesse tu ne seras plus en mesure d’orienter tes énergies. D’ailleurs, poursuit-il, lorsqu’un vieillard s’abstient de fauter il ne connait qu’un mérite réduit vu qu’il n’est plus en mesure d’assouvir ses pulsions. La fougue de la jeunesse peut te conduire très loin, sache la cultiver dans le bon sens. Le temps joue beaucoup dans la réalisation du moi, d’ailleurs le temps s’inscrit dans les caractéristiques même du moi. Le temps n’est pas extérieur au moi il en est une partie intégrante.

Le H’atam Sofer ne manque pas de rappeler ce qui anime son moi : le corps et l’âme. Développe ton moi sans en oublier aucun ingrédient. Ceci implique qu’il faille encore savoir ce qu’est le moi. De toute évidence, note-t-il, le corps ne peut constituer à lui seul le moi dans toute son entité.

Ne laisse pas le corps occupé toute la place du moi. Le corps est là mais il n’est pas seul. Il est une partie non négligeable du moi mais il ne forme pas tout le moi.

Pour le Maguen Avot cette michna resitue le moi par rapport à l’autre ! L’homme vie en société et lorsque ceci l’intéresse il utilise la société pour défendre ses intérêts. Il prend l’autre pour prétexter ses erreurs. Dans ses mots il écrit ainsi : lorsque tu fautes ne crois pas que tu seras épargné du jugement et du regard divin sous prétexte que le mérite des uns et des autres te secourra. Chacun est responsable de ses faits. C’est là une analyse pertinente qui invite l’homme àsaisir l’individu qu’il représente et sa place parmi les autres. Le moi à la fois détaché et intégré à la société. L’homme parmi les humains. Qui suis-je parmi tous ceux qui m’entourent ?! Est-ce moi qui doit apporter aux autres, ou est-ce l’autre qui doit m’apporter quelque chose ?! Peut-être et sans doute que les deux versions s’additionnent, néanmoins je ne dois pas me confondre en l’autre et je ne dois pas étouffer l’autre…

Le moi est l’aventure de l’être…

En cette veille de Chavouot il est opportun de s’interroger quelle place occupe la Tora en mon moi ?! Se repositionner face à la Tora. La Tora est-elle une activité du week-end ou du nouvel an ? Comment je vis la Tora et comment je fais vivre la Tora en moi ? C’est là les questions qu’on doit soulever en amont du jour du jugement de la Tora que représente Chavouot. La Tora s’est adressée à chacun en adéquation au moi qui l’anime. Le contenu de la Tora est la base de chaque juif. On ne peut vanter son judaïsme si celui-ci est dénudé de la Tora dans son entièreté. La Tora ce n’est pas à peu près ou à moitié, et encore moins à la guise et convenance de chacun. La Tora n’est pas une option. La Tora est l’unique univers du juif. On ne peut pas être juif sans manger cachère, sans faire chabat, sans être marié à un conjoint juif, sans inscrire ses enfants dans une école juive, sans respecter les lois de la nida, sans respecter les lois de la médisance… et surtout sans étudier la Tora ! Ceux qui prétendent le contraire sont des escrocs et des ignorants. Depuis la création du monde la Tora s’écrie : je suis là, et l’homme de répondre : je veux être là sans toi ! L’homme veut exister sans Tora mais la Tora le poursuit. Parce que le juif n’a d’autre raison d’exister si ce n’est que pour la Tora. Mais tout ça tout le monde le sait mais tout le monde veut vivre dans l’abstraction du savoir. Un juif sans Tora est plus dangereux qu’un juif qui fume. Fumer tue, sans Tora on est mort !

Qu’est-ce que la Tora nous apprend du moi ?! Poursuivons notre étude basée sur Pirké Avot 1-14. Parce que tout ce qu’on pourra apprendre sur le moi à l’extérieur de la Tora ne vaut pas ce que la Tora nous délivre sur cette aventure du moi.

L’homme vie beaucoup dans l’accusation de l’autre, tout autre soit-il. Aucun autre n’est épargné de l’accusation de celui qui connaît un échec. Le seul épargné de l’accusation c’est celui qui se positionne en victime. Les enfants accusent les parents. Les conjoints s’accusent mutuellement, chacun est persuadé que l’autre est la cause de ses échecs. Dans la vie chacun croit que si l’autre n’existait pas il aurait pu être meilleur. Le pire est qu’on s’en prend à D’IEU lui-même, on est persuadé que s’il nous avait donné autre chose que ce qu’on est on aurait pu exceller dans la vie.

Pire encore, mon Grand Maître Rav Wolbe zal note que lorsqu’on dit ‘’avec l’aide de D’IEU’’ on cache parfois le sentiment qu’on a fait tout ce qui était en notre pouvoir et que si les choses ne marchent pas c’est ‘’à cause de D’IEU’’ ! L’homme ne doit pas espérer l’aide de D’IEU s’il n’a pas d’abord fait tout ce qu’il était en mesure de faire, il est vrai que sans l’aide de D’IEU l’homme ne peut rien faire et ne peut pas aboutir à ses fins néanmoins cette aide divine ne lui parvient si et seulement si il a usé toutes ses énergies – explique le H’atam Sofer. Bref, tout autre soit-il représente un alibi à nos échecs et nos erreurs. C’est ainsi que le H’afets H’aïm explique notre michna : l’homme est lui-même la cause de ses problèmes !

Le Maharal dans son Dereh’ H’aïm développe cette même idée cependant dans le côté positif, il écrit : l’homme doit se parfaire et il ne peut recevoir sa perfection de personne !

Rabi H’aïm de Volsyn dans son Rouah’ H’aïm fait un constat intéressant : pour ce qui est de la subsistance matérielle l’homme ne fait confiance à personne, parfois pas même à D’IEU, il s’efforce par ses propres moyens de travailler afin de gagner de l’argent et pour ce qui est de la Tora il s’appuie sur tout le monde et se remet entre les mains de D’IEU. Alors, dit-il, que c’est le contraire qu’il faut faire, pour ce qui est de la parnassa l’homme doit faire confiance à D’IEU qu’il subvienne à ses besoins et pour ce qui est de la Tora l’homme doit s’investir sans relâche !

Mon Maître le Gaon Rav Ovadya Yossef ztsal dans son Anaf Ets Avot note encore une idée fondamentale : bien souvent l’homme s’appuie bien souvent sur le mérite de ses ancêtres croyant et prétextant que puisqu’il est le fils d’untel ou que son grand père est tel tsadik alors il a l’assurance lui aussi de le devenir. Or l’histoire nous a prouvé depuis toujours que chacun paie ses pots cassés et bénéficie de ses beaux faits. C’est ainsi que nos Sages disent au traité Sanhédrin 104A « Avraham ne peut secourir son fils Yichmaël, Yitsh’ak ne peut secourir son fils Esav ». Celui qui vie sur le compte des autres est dans un monde obscur ! Rav Lau rajoute le Midrach qui rappelle qu’au moment de la mort personne ‘accompagne l’homme, ni sa femme, ni ses amis, ni son argent il est là seul à prouver ce qu’il a fait durant sa vie, il ne pourra faire appel à personne pas même aux tsadikim ancestraux. Les ancêtres ne sont pas des airbags !

Mais si certains peuvent voir dans ce discours un peu de courage et d’authenticité, mais sont encore sceptiques pour s’interroger s’il en est réellement ainsi, rappelons un discours du Rav Chalom Shwadron zal (Kol Dodi Dofek Eloul page 158) : lorsque Yona est dans le bateau qui chavire il dit ‘’Je sais que c’est à cause de moi que la tempête est là’’ (Yona 1-12) ; le Rav de Brisk rappelle que le Midrash dit que les voyageurs qui se trouvaient sur le bateau étaient tous idolâtres au nombre de soixante-dix, il était facile pour Yona de voir en tous ses autres la cause de la tempête et pourtant il a reconnu qu’il en était lui-même la cause ! Au traité Avoda Zara 17A le Talmud raconte l’histoire de Rabi Eliezer ben Dourdaya, cet homme qui, avant de faire téchouva avait le vice excessif de la prostitution. Il demanda de l’aide aux montagnes, aux vallées, etc. de lui venir en aide tous refusèrent jusqu’à ce qu’il s’exclama ‘’eine hadavar talouï éla bi’’ – la chose ne dépend que de moi-même ! Rav Eliyahou Lopian le dit ainsi : un homme tenait un oiseau dans ses mains, il dit à son entourage, voyez on dit que l’oiseau peut voler très haut or il est là dans mes mains et ne peut faire grand-chose. Sot !, lui répondirent les autres,

ouvre ta main et tu verras où l’oiseau peut aller ; ainsi lorsque l’homme prétexte qu’il ne peut pas aller très loin on lui répond : sot !, libère toi de tes prisons et laisse toi la possibilité de t’envoler vers les hauteurs.

Je vous ai proposé une multitude de commentaires et d’idées sur le moi fondés sur les commentaires des maîtres pour expliquer l’enseignement de Hilel cité dans cette michna de Pirké Avot. J’espère que chacun d’entre nous trouvera le moyen de développer son moi et de s’épanouir. Sinon, que chacun trouve la voie qui l’habite pour s’assurer de voir son moi se réaliser plutôt que de le laisser s’endormir…

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