Rav Imanouel Mergui
Le rire est une expression de l’homme qui peut se manifester pour différentes causes… Il m’a paru important et primordial de s’interroger sur sa place dans la Tora. Comme vous le savez j’aime chercher la position de la Tora, et plus particulièrement dans les textes dits talmudiques issus de la pensée extraordinaire de nos Maîtres. Nous avons deux termes dans ces textes désignant le rire : le séh’ok קוחש et le tséh’ok קוחצ. Je traiterais des enseignements des Sages sans m’attarder sur la différenciation et la précision de ces deux termes. Je laisse la tâche à l’avisé de se plonger davantage dans les textes pour approfondir davantage.
Le premier texte surprenant à propos du rire qu’on peut lire dans le Talmud est cité au traité Erouvin 65b et Rachi « Rabi Elaï dit : on peut reconnaître si l’homme est noble par trois choses
kosso – s’il reste lucide lorsqu’il boit du vin,
kisso – si son commerce est correct,
kaâsso – s’il n’est pas trop rigoureux avec les autres. Certains rajoutent une quatrième chose : séh’ako – son rire ! ». Ces quatre comportements définissent l’aptitude de l’être. Le rire, notamment, est un comportement qui reflète de la qualité d’être que nous sommes.
Ceci implique deux choses, au moins :
- le ‘’contenu du rire’’ – je veux dire, ce sur quoi l’on rit,
- le ‘’comportement du rire’’ – je veux dire la façon, l’élan, je dirais même la tenue qu’on adopte pour rire. Toutes ces choses, et certainement d’autres encore, sont le reflet de l’intériorité de l’être. Le rire met en exergue une partie voilée de l’être. On cache et on tait certains traits de notre caractère, et bien tout ça s’extirpe, et s’exhibe, lorsqu’on rit. Le rire c’est le dévoilement de soi aux autres. Si on veut tester une personne pour définir sa qualité intime et profonde il faut la faire rire ainsi elle exprimera un coté cachée voilée d’elle-même.
La version de cet enseignement proposée dans la béraïta Dereh’ Erets Zouta chapitre 5 diffère quelque peu de cette version du traité Erouvin. Effectivement là-bas on peut lire que le rire définit la qualité du talmid h’ah’am (l’érudit, le représentant vivant de l’étude de la
Tora). Selon le commentaire du Nah’alat Yaâkov pour comprendre cette version il faut la rattacher à l’enseignement cité au traité Bérah’ot 31a « Rabi Yoh’anan disait au nom de Rabi Chimon bar Yoh’aï ; l’homme n’a pas le droit de remplir sa bouche de rire dans ce monde ci ainsi dit le verset dans Téhilim 126 ‘’c’est alors que notre bouche sera emplie de rire’’, ceci est dit à quel moment ? Au moment où ‘’les nations diront et reconnaîtront que D’IEU a fait des choses grandioses avec ceux-là (Israël)’’. Depuis ce jour où Rech Lakich a entendu cet enseignement de Rabi Yoh’anan son maître il mit cet enseignement en pratique ». Le rire définissant la qualité intime de l’être va dans le sens de définir s’il est un talmid h’ah’am ou bien son contraire : un âm haarets. Le talmid h’ah’am rit avec réserve et retenue. Il attend que les nations reconnaissent la grandeur de D’IEU à travers Israël. C’est ce que je nommais en début d’article le ‘’contenu du rire’’. Une bonne ‘’éclatade’’ ça fait du bien, certes, mais ça ne peut faire rire pleinement le juif. L’ignorant ignore sa qualité d’être, il ignore son enjeu je veux dire l’enjeu du juif. Il rit de banalités bien souvent nulles. Attention soyons clairs, la Tora ne nous conseille pas l’austérité, la tristesse, la mélancolie etc. Bien au contraire la Tora veut que l’homme rie, et elle nous apprend qu’on se doit de rire mais sur des choses véritablement valables. Ne vous êtes-vous jamais posés la question de savoir 1) pourquoi l’humour juif est si répandu, 2) pourquoi l’humour à l’égard du juif est tout autant répandu ??? Le juif fait rire – rira bien qui rira le dernier ! Mais aujourd’hui pouvons-nous rire pleinement. J’aime cette nuance talmudique qui interdit dans cet enseignement de Rabi Chimon bar Yoh’aï de ‘’remplir’’ sa bouche de rire. Rions mais, comme nous l’avons dit : rire c’est exprimer son intériorité la plus profonde. Quelle est donc cette intériorité si profonde à laquelle l’ignorant n’est pas préparé et à travers laquelle l’érudit s’exprime pleinement ?
Au traité Bérah’ot 62a il est rapporté qu’au moment du comportement conjugal l’homme doit parler et rire avec son épouse – ‘’sah’ vésah’ak חש קחשו’’. On restera très bref et pudique sur ce sujet, mais là nous voyons que le rire est d’une importance majeure puisqu’il va mettre les époux en condition de retrouvailles espérées. En réalité au traité H’aguiga 5b le Talmud s’explique davantage. Se basant sur un verset de la prophétie de Âmos, Rav déduit que l’homme rendra justice même sur les discours supplémentaires ( החיש הריתי) qu’il a entretenus avec sa femme ! Rachi explique qu’il s’agit des propos de rire que l’homme tient à sa femme avant l’intimité. La guémara s’interroge : voilà que Rav lui-même parlait et rigolait (ici la guémara emploie l’expression קחצ) avec sa femme ! Dans ce contexte
le rire n’est donc pas vil ? Et, comme le rappelle le Gaon Yaâvetz, le Talmud nous parle du comportement intime de l’une des plus grandes figures talmudiques en la personne de RAV ! Il n’y a pas lieu de faire preuve de sévérité dans ce domaine, oui l’unique sévérité est celle de combler sa femme (c’est en soi une grande mitsva, comme nous l’enseigne le Talmud au traité Yébamot 62b… et Choulh’an Arouh’ E’’H 1). La guémara répond : le rire est conseillé dans le couple si effectivement il se trouve une nécessité d’agréer son épouse… ; par exemple, propose Rabénou H’ananël, si l’épouse est en colère le rire pourra la détendre et à ce moment-là il sera bon, permis et conseillé au mari de rire et de rigoler avec sa femme… Rambam a une approche particulière puisqu’il s’étale sur ce contexte et écrit, entres autres » l’homme ne doit pas adopter un comportement ‘trop’ léger avec sa femme… Il ne tiendra pas un discours malsain avec elle… Voilà que les Sages ont enseigné que même sur une parole légère (החיש הלק) que l’homme a tenu à sa femme, il en sera jugé… Il ne forcera pas sa femme alors qu’elle n’en n’éprouve pas le désir, ça se fera avec l’accord des deux et leur gaieté… Il parlera un peu avec elle et rira un peu afin que leurs esprits s’apaisent… » (Hilh’ot Déôte chapitre 5 paragraphe 4 – voir également Choulh’an Arouh’ O’’H 240 – 9,10). J’ai rapporté quelques fragments du programme intime décrit par le Rambam, ses mots sont riches et à étudier avec plus de temps et d’approfondissement.
Je voulais vous montrer trois points :
- Le rire dans la Tora occupe une place importante,
- Dans la Tora il n’y a pas de tabou, la Tora veut que l’homme vive plaisamment son intimité, elle nous en délivre donc des conseils,
- Le rire dans le couple est d’or.
RIRE DANS LE COUPLE ; que c’est beau la Tora ! Quel est le remède du couple ? Quel est la clé des couples heureux ? Comment trouve-t-on le bonheur dans le couple ? Voilà la réponse et le conseil de la Tora : RIRE !!! Si les couples comprenaient cela… C’est si simple de rire avec sa femme et c’est tellement bénéfique. Plutôt que de se chamailler pour ce que j’appelle des ‘’chtouyot’’ (idioties), apprenons à rire et rigoler.
Et c’est vrai,
- c’est plus facile (pour certains) de rire avec les autres,
- il y en a qui ne savent pas rire du tout – toujours grincheux et balourd, ils sont le malheur en personne. Soyons clairs, je ne parle pas d’un état général de joie et de gaieté ceci est un autre sujet, celui de la ‘’simh’a’’, je parle bien de rire et rigoler au sein du couple. Au lieu de pleurer avec ta femme, RIS ! Rav Wolbe zal conseille au mari : « une atmosphère d’humour dans le couple est plus noble qu’un esprit lourd et pesant » (Kountrass Hadrah’a Léh’atanim). L’humour stabilise le couple… Ce n’est pas une blague !
Dans son Alé Chour II page 242 mon grand Maître Rav Chlomo Wolbe ztoukal nous fait de grandes révélations, il écrit « comment l’homme peut-il sortir de la rigueur ? Celui dont sa vie est animée de rigueur envers les autres, sa vie n’est pas une vie (nb : ni pour lui ni pour les autres) ! ». La rigueur se dit en hébreu ‘’hakpada – הדפקה’’ exprimant un état irritable, puisqu’intransigeant et inhumain. Le Rav zal nous invite à réfléchir sur la solution de cette maladie insupportable. « Il n’y a qu’une seule vertu qui promet à celui qui la détient de ne plus être rigoureux : le rire et l’humour !!! ». Attention, petite précision, Alé chour n’est pas un livre du type ‘’tora canapé’’, c’est un livre de type ‘’avodatique’’ c’est-à-dire un livre qui reflète d’un travail touchant l’intime être qui nous anime. Pour ce grand maître de l’être, Rav Wolbe ztsoukal, il y a dans la vie deux perspectives 1) la sévérité, l’inclémence et la rigidité – ceci reflète d’une maladie exécrable de l’être et pour y remédier il faut se tourner vers 2) le rire, l’humour et la jovialité. « C’est une qualité qui aborde les mésaventures de la vie avec plus de souplesse, elle soulage l’être de ses problèmes, elle l’élève au-dessus des confusions, elle amène de la lumière dans l’obscurité de la négativité. Une bonne humeur couronne celui qui est animée d’humour… Celui qui sait faire le bon exercice pour acquérir ce trait de caractère, enrichit sa vie et améliore ses relations avec autrui et avec lui-même », écrit le Rav ztsoukal. Voilà le conseil pour sortir des tracas de la vie, pour améliorer ses relations, pour se sentir mieux avec soi-même. Si le dicton dit ‘’mou – rir de rire’’, nous on dira ‘’vivre de rire’’.
Au traité Kétouvot 103b le Talmud nous livre l’enseignement suivant : « Celui qui rit au moment de sa mort, c’est un bon signe pour lui. Celui qui pleure au moment de sa mort, ceci est un mauvais signe pour lui ». Rire jusqu’à l’instant même de la mort. Rire tout le temps.
Mourir en riant. Dédramatiser les aléas de la vie. Les gens qui ne rient pas ou peu, voire jamais, sont des gens pour qui tout est drame. Vous rendez vous compte, comment un homme peut mourir avec le sourire aux lèvres ? Le sourire n’est-il pas l’opposé de la mort ? Mais dans le fond la seule chose que le mourant n’a à faire c’est de rire. Cela vous paraît bizarre, en réalité j’en suis moi-même surpris. Les gens pleurent devant la mort, interrogeons-nous du pourquoi de ces pleures ? Je ne dis pas qu’il ne faille pas pleurer… Bien souvent on pleure ‘’parce qu’il ou elle va nous manquer’’, ou encore ‘’parce qu’on a peur d’être le suivant sur la liste’’… quel est l’enjeu véritable des pleures au moment de la mort ? C’est une question à part entière, mais vous avez remarqué que la guémara parle ici des pleurs et des rires de celui qui va mourir et non de ceux qui sont autour de lui. C’est une nouvelle dimension et de la vie et de la mort. Le comportement du mourant au moment de sa mort est un signe important pour lui (d’ailleurs la guémara en cite toute une série). Ceux qui ne croient pas à la vie après la mort ou encore à la résurrection des morts ne tiennent pas compte du comportement du défunt au moment où il quitte cette terre, et ce à tel point qui le font tantôt cramer comme un méchoui ! Aucun respect de soi et de ceux qui sont là que d’exiger à bruler les corps et finir ‘’encendré’’ dans une boite de conserve. Le Ben Ich H’aï dans son Ben Yéhoyadâ explique : « celui qui rit au moment de sa mort c’est une preuve que son âme est pure puisque détachée de la matérialité, il quitte ce monde sans regretter ses désirs matériels non assouvis », (Comme disait Jean Cocteau : La faculté de rire aux éclats est preuve d’une âme excellente). Cette idée redéfinie l’idée du non rire, je veux dire que celui qui ne rit pas est dans un état de non assouvissement et de non réalisation de soi. Le rire témoignera quant à lui à l’état de plénitude de l’être, plénitude profonde. Or, pourrait-on rétorquer, qui est réellement rassasié ? Qui vit un état de non manque ? Personne ! Mais, comme nous l’avons dit, rire c’est dédramatiser le manque non assouvi. C’est énorme comme idée. L’absence de rire c’est l’encrassement dans la matière, c’est le drame de ce que je n’ai pas.
Nous avons étudié, autant que se peut, le rire dans le couple et le rire dans la matière. J’espère que cette étude vous aura permis de rire cinq minutes pour s’aventurer dans le rire inconditionnel…
Jusqu’ici nous avons décrit les aspects positifs du rire. Il y a cependant un côté négatif voire dangereux dans le rire. Notre paracha – Ki Tissa, nous en livre une leçon. Nous connaissons tous ce passage de la Tora qui relate l’histoire de la faute du veau d’or. Intéressant est de relire un verset qui décrit cette faute ; au chapitre 32 verset 6 la Tora dit « ils se levèrent pour rire – קחצל ». La Tora condamne leur rire ! Mais est-ce ce qu’il y a de plus grave à reprocher ? Oui ! Les Béné Israël après le don de la Tora n’avaient-ils pas autre chose à faire que de s’attabler et rire ?! Le monde vient de naître et prendre un sens véritable et eux se mettent à rire. Lorsque je demande aux gens pourquoi ne viennent-ils pas étudier ? J’entends des réponses qui font vraiment de la peine, du style ‘’ce soir il y a un match’’, ou pareilles idioties. C’est ça la vie du juif ?! Le vrai problème, exprimé par ce rire négatif, est qu’on ne prend pas la vie au sérieux. On vit dans un rire qui expose le non sérieux des choses. Le Talmud nous indique déjà que le décret de Hamann était beaucoup plus efficace que toutes les remontrances citées par tous les prophètes. 200.000 missiles de l’Iran nous font peurs, mais la Tora nous la négligeons. On est au pied du mont Sinaï, on vient de recevoir la Tora et on rit ??? On n’a vraiment rien ‘’comp-ris’’…
Rachi voit dans le terme « rire » dit ici dans notre verset le contenu de la faute du veau d’or, à savoir : la débauche et le meurtre. Dans Béréchit Rachi dit que le terme rire dans la Tora se traduit également par l’idolâtrie. Rire c’est prendre le risque à commettre l’irréparable, la faute à son extrême. Comme je l’ai dit, rire c’est prendre les choses à la légère et cette légèreté conduit l’homme à ne plus distinguer entre l’essentiel et l’existentiel, il balaie tout ce qui le gêne. Pire encore il rit de sa propre faute. D’ailleurs de quel meurtre s’agit-il ? Rachi explique au nom du Tanh’ouma que les Béné Israël venaient de tuer H’our. Ce grand homme les réprimandait, il leur avait placé leur faute en face des yeux, il voulait leur rappeler de prendre la vie au sérieux. Sans hésitation aucune ils l’ont tué. Celui qui rit, rit de sa propre faute, il la banalise, il ne voit même plus que c’est une faute. Et, gare à celui qui viendrait le gêner à rire, sans contingence il le tuera. « Le rire conduit à la débauche « , nous enseigne Rabi Akiva dans Pirké Avot 3-13. Le Maharal explique (Gour Aryé Béréchit 21) que le rire c’est un comportement qui prouve qu’on sort des normes de la vie, c’est un désordre (d’ailleurs c’est souvent les choses bizarres qui nous
font rire), or ce désordre conduit inéluctablement vers un autre désordre celui de la débauche. Mais plus encore, explique le Maharal dans son commentaire sur Avot : la débauche est un acte qui éloigne l’homme du divin puisque c’est un acte purement matériel lié au corps, et le rire éloigne l’homme de la crainte de D’IEU et c’est cette absence de crainte qui va éloigner davantage l’homme de D’IEU et le pousser à la matérialité dans toute sa bassesse c’est-à-dire la débauche. Cet enseignement vient à la suite de ce qu’a enseigné précédemment Rabi Yichmaël qu’il faut accueillir tout homme avec joie ; la joie a ses limites elle ne doit pas conduire l’homme à rire bêtement et dangereusement. Idée intéressante du Maharal, tout contact d’avec l’autre doit se faire joyeusement mais est automatiquement un danger de débauche. La débauche c’est le contact sans limite avec l’autre.
Avec cela on peut mieux comprendre l’enseignement du Yérouchalmi qui affirme que la ville de Tour Chimon a été détruite parce qu’ils jouaient au ballon le jour de Chabat !!! Comment en ce jour représentant les plus grandes valeurs de notre peuple on peut jouer au ballon ?! Le ballon c’est le plein de vide ! Qu’est-ce qui font les gens chabat ? Ils dorment ! Mais comment peut-on passer ce jour sous la couette ? Nous allons vers les chabat qui s’allongent, mais combien de temps peut-on dormir ??? Ce jour nous a-t-il été donné pour qu’on dorme ?! Dormir Chabat c’est cela même le veau d’or ! Dormir c’est délaisser la vie, c’est ne pas prendre la vie au sérieux, c’est négliger la vie. Alors que chabat donne un sens à notre vie, on dort… C’est démentiel.