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Le savoir

Rav Imanouel Mergui

Durant la veillée de Chavouot nous avons eu l’occasion d’étudier à la Yéchiva le sujet du Am Haarets. Nous avons pu constater que de traduire cet adjectif par : ignorant est en soi de l’ignorance. Bien entendu essayer de définir qu’est-ce que le Am Haarets soulève inévitablement la question de savoirqu’est-ce qu’un H’ah’am ? Et là aussi traduire cet adjectif par : le sage, l’intelligent ou le savant c’est également de l’ignorance.Chlomo Hameleh’ parle beaucoup du h’ah’am dans son ouvrage exceptionnel Michlé(traduit populairement par :Les Proverbes). Sans avoir étudié ce livre peut-on traduire, évoquer, employer ce terme à tout va et convenablement ? Certainement pas. Aujourd’hui les mots ont perdu de leur valeur, ce qui crée, bien évidemment, de nombreux maux. Qui ne croit pas être unh’ah’am ?! On se dit tous h’ah’am. Et pourtant qui sait définir correctement ce qu’est le h’ah’am ? Alors, penchons-nous sérieusement (très brièvement à travers ces lignes) sur la question et efforçons nous d’étudier ce sujet.

Nos Sages (appelés en hébreu :h’ah’amim ) ont consacré une Michna dans les Chapitres des Pères (Pirké Avotchapitre 5 Michna 7), ils disent : « Sept choses caractérisent le sot – golem לוג    et sept autres le h’ah’am כח ». On peut déjà être surpris sur le nombre d’éléments caractérisant le h’ah’am : sept au total.

Le h’ah’am 1) ne prend pas la parole devant qui est plus grand que lui en sagesse et en nombre, 2) il ne s’insinue pas au milieu du propos de son compagnon, 3) il n’est pas décontenancé pour répondre, 4) il questionne de façon pertinente et répond comme la halah’a , 5) il place (dit) le premier en premier et le dernier à la fin, 6) ce dont il n’a pas connaissance il avoue ne pas le savoir, 7) il reconnaît la vérité. Quant au sot, c’est tout le contraire ».

Selon le Gaon Rav Eliyahou de Vilna le sixième point trouve sa source à partir de notre paracha. Au début du chapitre 9

deux hommes, Michaël et Eltsafan – selon le Midrach, se présentent devant Moché et lui soumettent la question de savoir s’ils peuvent approcher le sacrifice de Pessah’ alors qu’ils sont dans une situation d’impureté. Le Sifri rapporte leur débat et leur argument. Mochéleur dit « Dressez vous (à la porte du Ohel Moed) afin que j’entende ce que D’IEU vous ordonnera ». Selon le Gaon de Vilna, Mochéleur a dit : je n’ai rien entendu (appris) à ce su jet ! Moché qui ne connaît d’égal, ni dans le passé ni dans les tempsfuturs, a reconnu son ignorance. Le sot est celui qui est persuadé tout savoir et tout connaître, il ignore son ignorance. Le h’ah’am avoue ne pas savoir, il reconnaît son ignorance. Reconnaître son absence de savoir est une des caractéristiques du h’ah’am . Quelle est donc la différence entre l’ignorant et le h’ah’am puisque ce dernier ignore également certains éléments ? La différence ne se situe pas au niveau de laquantité etde la qualité du savoir mais au niveau de la personne elle-même. Le sot ignore ce qu’il est. Leh’ah’am , quant à lui, a la connaissance de ce qu’il est.

Rachi explique : « Il avoue ne pas savoir, car il ne veut pas dire qu’il a entendu des maîtres une chose qu ’il n’a pas entendue, comme le disent les Sages : qui énonce une chose qu’il n’a pas entendue de son maître en disant qu’il l’a entendue conduit la présence divine à se détacher d’Israël ». Il ne s’agit donc pas de celui qui ‘’inv ente’’ une loi, d’ailleurs ce n’est pas ce qu’il y a de pire, peut- être même qu’il n’y a rien de grave que de déduireune loi par son propre raisonnement (bien entendu propre raisonnement (bien entendu si celui-ci respecte les règles de la Tora). Il s’agit de celui qui rattache ce qu’il dit à une autorité – en l’occurrence son maître, alors que celui-ci ne lui a rien dit de tel. Il fait dire à son maître des choses qu’il n’a pas dites. I l attribue ses dires à son maître. En fait il parle au nom de son maître sur des propos qu’il n’a jamais dicté. Le Méirisuit quelque peu cette idée, il explique : « Ce dont il n’a pas eu connaissance il avoue ne pas le savoir, bien qu’il pourrait répondre par un raisonnement personnel, il ne dit pas acceptez mon opinion, mais il reconnaît plutôt ne pas avoir appris la cho se de son maître. Il ne délivre son opinion personnel seulement si on le lui demande explicitement ». Il s’agit donc d’une p ersonne intelligente qui a son propre avis sur la question mais il ne s’empresse pas de l’émettre. Il ne met pas en avant son savoir et ses qualités intellectuelles. Il estanimé d’une certaine réserve. L’idée est encore plus forte car, bien évidemment lorsqu’on ne sait pas une chose on ne peut que dire qu’on l’ignore (même si certains sont persuadés tout savoir sans avoir jamais rien appris – ils sont adeptes du savoir inné ! …).

Le h’ah’am est celui qui pourrait répondre mais ne s’empresse de le faire, à plus forte raison qu’il ne dit pas au nom des autres, de ses maîtres, de la Tora ce qu’il voudrai t dire par lui-même. Le sot est celui qui parleau

nom de la Tora sans s’assurer, sans vérifier, sans authentifier que ce qu’il dit est bien le message de la Tora qui est au bout de ses lèvres.

Cette vertu implique également la qualité de reconnaître ce qu’on n’a pas compris et intégré, expliquele Méoré Or au nom d’autres commentateurs. Si le sot croit tout connaître il croit également tout comprendre. Il traite souvent les autres de sot, avec dédain et accompagné d’un air hautin il se sent supérieur quant la quantité de sonsavoir mais également concernant la qualité de son savoir. Il roitc même être le seul à avoir TOUT compris.

L’homme a souvent tendance à ne pas entendre des cho ses qu’il a déjà entendues pensant les connaître et les

maîtriser, or une parole de Tora ne connaît pas qu’ une seule facette et qu’une seule explication, explique notre maître Rav Ovadia YOSSEF chalita (commentaire sur Avot ‘’Un rameau de l’arbre des Pères’’ page 575). L’id ée est encore pluspuissante : le h’ah’am c’est celui qui dit ignorer une chose qu’il connaî t véritablement, il reconnaît que bien que connaissant la chose il en ignore certainement un autre aspect, « c’est comme si tout était nouveau pour lui, tellement il affectionne la Tora », écrit-il encore. Animé de cette soif d’apprendre et de comprendre, il recherche de la nouveauté même dans ce qu’il connaît déjà. Le sot, bien qu’ayant réellement compris la chose, affirme qu’à part ce qu’il a compris il n’y rien d’autre à comprendre…

Ces caractéristiques du h’ah’am prouvent l’ordre – seder רדס (on pourrait dire l’équilibre et la stabilité) dela sagesse, écrit le Maharal. Dire savoir ce qu’on ne sait pas c’est sortir de cet ordre, c’est être désordonné. Le sot a peur, vis-à-vis de lui-même d’ailleurs !, de dire je ne sais pas. Il veut faire bonne impression. Il croit qu’en disant ‘’je ne sais pas’’ il perdra la face et la reconnaissance des au tres. Il est donc faible et instable. Il est fragile. Il nous arrive parfois de soumettre une question à une personne et qu’après a voir entendu sa réponse on lui demande ‘’d’où tu sais ?’’, il répond ‘’je sais !’’. Comme s’il était lui la source et l’ origine de tout savoir.

‘’ Que sais-je ?’’ sait dire le h’ah’am (A la Yéchiva nous disons ‘’que C.E.J.’’ !). ‘’Je sais que !’’ affirme le sot. Enfin, clôturons avec l’idée du philosophe qui a dit que son érudition lui a permis de découvrir ce qu’il ignorait. Je sais que je ne sais pas ! S’il en est ainsi pour la science et la philosophie à plus forte raison – kal vah’omer ! – pour ce qui est du domaine de notre sainte Tora. Avant de débuter une étude j’aime rappeler aux participants : mettez de coté tout ce que vous savez…

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