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Les limites de l’espoir

Rav Imanouel Mergui

J’ai eu l’occasion de parler ces derniers temps avec des gens qui sont dans la souffrance et l’épreuve. Ils cherchent remède, conseil, soutien et surtout des réponses à la fameuse question qui hante : Pourquoi il m’arrive cela ? Ou, formulée différemment, qu’est-ce que D’IEU attend de moi ? C’est un petit peu le ‘’sens de l’épreuve’’ qui est mise à l’épreuve… Dans la difficulté de répondre, voire même dans l’impossibilité de donner une réponse (notamment parce que lorsqu’on a ce genre de question c’est à D’IEU qu’il faut les poser puisqu’il est LUI leur origine ; certes il existe des ouvrages qui aident et éclairent sur le sujet notamment je pense à l’ouvrage Daât Tévounot du Rav Luzzato zal…), je sollicite les gens à se tourner vers D’IEU par la TEFILA et là j’entends dire « je ne prie plus – D’IEU n’entend pas mess prières – je ne crois plus la prière – de toute les façons je n’y crois plus la situation est irrémédiable, irréversible – les médecins disent que c’est la fin et qu’il n’y a plus rien à faire »… et propos semblables. De nombreuses interrogations fusionnent en mon esprit lorsque j’entends ces souffrances et ces évènements ‘’sans retour’’, je voudrais en partager une avec vous à travers cette étude :

QUELLES SONT LES LIMITES DE L’ESPOIR ET DE L’ESPÉRANCE ???

A-t-on le devoir et/ou le droit de croire en l’incroyable, l’impossible, l’improbable ???

Jusqu’où peut-on demander à D’IEU d’intervenir dans une situation dite désespérée ???

Dans le livre de Béréchit chapitre 18 la Tora raconte que trois hommes se sont présentés chez notre Père Avraham, l’un d’eux lui annoncent que Sara sa femme aura un enfant. A cette annonce le verset 12 raconte « Et Sara rie en elle en prétextant : alors que je suis vieille, que mon corps est fané et que mon mari est âgé, suis-je en mesure d’avoir un enfant ». Cet étonnement de Sara est légitime, effectivement Avraham est âgé de cent ans et elle-même est âgée de quatre vingt dix ans lorsqu’elle est supposée avoir un enfant ! (17-17). Qu’elle est donc la probabilité qu’à cet âge un couple donne naissance à un enfant ?! Et pourtant D’IEU dit à Avraham (18-13) « Pourquoi Sara rie… Y-a-t-il quelque chose qui échappe à D’IEU… Dans un an Sara attendra un fils ! ». Incroyable ! D’IEU reproche à Sara son rejet de l’annonce qui lui était faite d’attendre un enfant, ce reproche met en avant son manque de confiance en D’IEU et sa vision limitative des pouvoirs divins. Pourquoi rejette-t-elle l’éventualité d’une intervention extrême divine ?! Ramban explique (verset 15) « D’IEU la condamne parce qu’elle conçoit que la chose est impossible elle aurait du y croire !, ou bien elle aurait du dire, à l’annonce qui lui était faite, ‘’Amen, ainsi D’IEU fera’’ » !!! Selon cette thèse aucune réaction de rejet et aucune limitation de l’espoir est-elle autorisée. Tout aussi improbable que la situation meilleure peut intervenir aucun prétexte n’est valable pour la rejeter et ne pas y croire ! Agir de la sorte est un manque de confiance en D’IEU, une limitation du divin, voire même une mise à l’écart de D’IEU.

Le deuxième passage qui nous permettra de valider cette thèse est un fait rapporté au traité Bérah’ot 10a : « Le roi H’izkéyahou était gravement malade. D’IEU ordonna au prophète Yéchayahou d’aller lui rendre visite. Le prophète se présente chez le roi et lui dit : avertis ta famille que tu vas mourir, tu vas quitter ce monde et tu n’auras pas accès au monde à venir ! Le roi s’étonne d’une telle annonce. Le prophète lui explique : tu n’as pas entrepris d’avoir des enfants ! Le roi répond : j’ai vu par esprit saint que mes enfants seront des mécréants, je me suis donc abstenu de faire des enfants. Le prophète lui rétorque : tu n’as pas à consulter les secrets divins, ceux-ci ne t’appartiennent pas, tu dois plutôt faire ce qui t’incombe (c’est-à-dire appliquer le devoir de procréer) et D’IEU fait ce que bon lui semble. Le roi dit alors au prophète : donne moi ta fille pour épouse et peut être que ses mérites conjugués aux miens nous permettront d’avoir de bons enfants. Le prophète rétorque encore : le décret divin voulant ta mort est déjà prononcé et tu ne peux rien faire pour le modifier ! Le roi s’oppose à cette annonce et affirme au prophète : ta prophétie s’arrête là, sors donc de chez moi, j’ai bien appris de la maison de mon grand père le principe qui veut « même si une épée tranchante est posée sur le cou de l’homme, celui-ci ne devra pas s’abstenir d’invoquer la miséricorde divine !!! ». Selon Rachi le grand père du roi qui émit cette idée est le roi David qui vit l’ange armée d’une épée prêt pour l’abattre et ne s’empêcha point d’implorer la miséricorde divine. Selon le Gaon de Vilna il s’agit plutôt du roi Yéhochafat à propos duquel nos Sages disent au Yérouchalmi Bérah’ot 9-1 qu’il avait l’épée du roi Aram sur son cou et qu’il ne manquait qu’à lui trancher la tête, le verset dit alors dans Divré Hayamim 2 : « Et Yéhochafat cria et D’IEU vint en son aide ». Les Maîtres Rabi Yoh’anan et Rabi Elâzar confirment ce principe à travers le verset dit dans Iyov chapitre 13 verse 15 « Même si D’IEU venait à me prendre la vie je continuerai à avoir espoir en Lui – et à Lui adresser mes prières (Targoum) ». On retrouve la même idée à propos des rêves et des mauvaises visions, rappelle le Maharats H’ayoute indiquant les propos du Yérouchalmi Sanhédrin. Tout mauvais présage n’est pas définitif et ne laisse pas le songeur sans espoir ; qu’il se tourne vers la prière, le repentir et la tsédaka pour connaître un avenir agréable, poursuit l’enseignement.

Ce passage talmudique fabuleux nous montre bien que rien ne tolère le désespoir, que l’espoir ne connaît aucune limite, même si le prophète annonce la mort définitive à l’homme il ne doit pas l’écouter, que même lorsque la mort approche et vient de D’IEU l’homme doit continuer à s’accrocher à la prière adressée à D’IEU pour qu’IL l’épargne. Et D’IEU lui vient en secours !

Le Maharal écrit : « toute chose peut être changée par la demande et les supplications adressées à D’IEU qui est miséricordieux sur tous » (Gour Aryé Béréchit 47-13). La téfila modifie l’être lui-même, c’est alors que le décret change puisqu’il n’est plus la même personne, explique encore le Maharal (Roch Hachana 16b). L’espoir se trouve donc enfouit en l’homme lui-même, s’il perd espoir c’est qu’il ne croit plus en ce ‘’lui-même’’ ! La prière ce n’est pas espéré en une amélioration de la situation sans engagement transformatif du sujet… La prière ne consiste pas à demander à D’IEU un changement gratuit, elle consiste plutôt à permettre au malheureux de se voir en face de lui-même, non pas réduit à son malheur mais étant un être doté d’une potentialité énorme celle de changer quelque chose d’essentiel en lui-même, je dirais plus simplement de toucher l’essentiel qui est en lui-même. Cela étant dit le malheureux dans son espoir exprimé là par sa prière ne doit pas se tourner vers D’IEU pour lui demander de changer le décret, il doit plutôt espérer de changer ce quelque chose qui l’empêche de voir l’agréable c’est alors que le changement de décret se fera de facto. Je ne prie pas à D’IEU qu’IL améliore ma situation mais à travers ma prière je ‘’me’’ change ce qui modifiera automatiquement l’histoire de ma vie… Le malheureux, selon mon discours, doit se détacher de ses maux, il doit orienter son zoom vers lui-même et non vers ce mal qui l’habite, tout aussi douloureux soit il. Il ne doit pas faire une fixation sur ce qui le dérange. Il doit de préférence se tourner vers ce ‘’lui-même’’ engloutit en lui-même. L’enjeu d’une épreuve n’est autre que de toucher ce point de vérité qui se trouve en l’être, le Maharal nomme ce phénomène par : amitate âtsmo.

Pour conclure ; les limites de l’espoir n’existent pas. Si limites il y a c’est que l’homme s’est auto limité. Mieux encore toute cette souffrance n’a d’autre but que de permettre à l’homme de se ‘’dé – limiter’’. L’épreuve n’est pas limitatrice mais au contraire libératrice des potentialités enfouies en l’être. L’espoir c’est cette idée de libération de soi. Penser que l’espoir n’est pas sans limites c’est le paradoxe même de l’espoir. Mais il ressort bien clairement que l’exercice de l’étendu de l’espoir est la prière, c’est en elle que l’homme doit investir et s’investir pour voir les portes de l’espérance s’ouvrir grandement. Il y a d’ailleurs une prière particulière traitant précisément de l’espoir celle récitée tous les matins avant la fin de la prière journalière « kavé el hachem, h’azak véyamets libéh’a, kavé el hachem » tiré des Téhilim chapitre 27…

Espoir et limite sont antinomiques… !

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