Aller au contenu

L’oeil – Partie 3

Rav Imanouel Mergui

La Paracha de Vayétsé ouvre par l’épisode bien connu « Yaâkov s’est endormi à l’endroit, il sommeilla, et il fit un songe, voilà une échelle qui se tenait sur le sol et dont son sommet atteignait le ciel. Voilà que des anges divins montaient et descendaient ». Tout le monde connaît ce songe et essaie d’en trouver l’interprétation.

Avant de poursuivre ce que ce rêve va susciter chez Yaâkov, constatons l’un des plus grands sujets de la vie de l’homme : le Rêve ! La vision dans le songe. Elle n’est pas moindre que la vision dans l’état réveillé, parfois même elle occupe une place plus importante dans notre vie que ce que nous voyons lorsque nous sommes réveillés. Les sages ont largement traité de ce sujet notamment au neuvième chapitre du traité Bérah’ot. Comment aborder ses rêves ? Quelle interprétation leur donner ? Nos Ancêtres étaient des grands rêveurs, et bien souvent dans leur rêve ils écrivent notre histoire !

La redondance du terme ‘’véhiné – et voilà’’ dans notre verset (28-12 et 13) prouve que ce rêve a une connotation prophétique, note le Or Hah’aïm (verset 12). C’est, sans doute, la force de nos Ancêtres de voir la manifestation divine même dans leur rêve, alors que l’homme commun a du mal à percevoir D’IEU même lorsqu’il est réveillé. Le songe peut avoir un sens prophétique tel que la Tora nous le raconte chez nos Pères et nos Prophètes.

Est-il donné à tout le monde de rêver prophétiquement ? certains ont basé tout leur culte sur le rêve d’un homme ! Comment peut-on savoir si notre rêve annonce un avenir, s’il est vrai ou faux, s’il s’impose aux autres ?

La question que je voudrais traiter ici avec vous est de savoir ce que Yaâkov a fait de son rêve ? Il rêve et voit des anges, sans aucun doute il voit même D’IEU qui se trouve au-dessus de lui (28-13), et D’IEU le bénit et lui adresse d’énormes promesses. Mais Yaâkov lui-même comment va-t-il réagir à ce rêve ?

La fin de l’histoire est, me semble-t-il, moins connu et moins mise en avant. C’est une erreur ! Lisons les versets 17 à 22, c’est exceptionnel.

Tout d’abord Yaâkov s’exclame de cette rencontre inattendue. Il se réveille le matin, prend la pierre qu’il avait mise sous sa tête et dresse un monument. Rachi au chapitre 31 verset 13 précise que ce monument est un ‘’mizbéah’-autel’’, voir également Rachbam 28-18. C’est-à-dire que Yaâkov ayant vu et entendu D’IEU dans son rêve il se met à faire ‘’quelque chose’’ pour D’>IEU. Sa vision ne reste pas stérile ! Il se met à l’œuvre dès son réveil. Tu as vu la manifestation divine, qu’en fais-tu ? Tu en inventes un culte ? Tu t’envoles et deviens un marabouté ? Non, Yaâkov ne va pas dans ce sens, il bâtit un Sanctuaire.

Est-ce tout ?

Poursuivons ce que la Tora nous dit. Il nomme cet endroit ‘’Bet-El’’. Il diffuse sa vision et en baptise même l’endroit au vu de sa vision. C’est extraordinaire, il perpétue son songe en lui donnant un sens réel, concret.

Yaâkov poursuit : il formule un vœu et à son tour il fait une promesse à D’IEU. Je t’ai vu et entendu D’IEU à mon tour de te renvoyer mes engagements. La vision divine doit avoir un effet boomerang.

Et enfin il conclut (verset 22) : « cette pierre que j’ai placé en monument sera la Maison de D’IEU et tout ce qu’IL me donnera j’en prélèverais un dixième ! ». C’est tout simplement inouï. Rachi traduit : je m’engage à Servir D’IEU ! Il met son être et son argent (le dixième au moins) au service de D’IEU.

Alors si on raconte l’histoire du rêve de l’échelle de Yaâkov n’oublions pas de conter la fin de cet épisode qui relate l’engagement de Yaâkov. Si tu vois D’IEU mais que ceci ne t’élance pas à devenir meilleur, à prélever ton ‘’maâsser’’, ta vision reste fantasmagorique. Ce que tu vois de D’IEU doit t’élancer vers le meilleur, touchant tous les domaines de ta vie et ton être et jusqu’à ton argent.

Le paragraphe qui suit nous raconte que sans attendre Yaâkov se met à l’œuvre. Il ne perd pas de temps. Il ne se prélasse pas sur ses songes. Il fait tout pour les réaliser. Le rêve ne se limite pas qu’à sa façon d’être interprété mais il prend un sens physique et s’inscrit dans la vie de l’homme. A fortiori lorsqu’il s’agit d’un rêve où l’on voit D’IEU. A fortiori lorsqu’on voit D’IEU de nos propres yeux dans le réel et dans la réalité. Soyons clairs celui qui refuse de voir D’IEU, celui qui se ment prétextant qu’il n’a pas vu D’IEU, c’est tout simplement parce qu’il n’a pas envie de s’engager et qu’il veut garder son argent pour ses fins personnels !

Il y a une autre raison pour laquelle on se fait croire qu’on ne voit pas D’IEU. L’histoire qui suit tiré du Livre magnifique ‘’Léhaamin’’ du Rav Yoel Dahan (page 103) nous permettra d’y voir plus clair.

Dans les Alpes Indiennes se trouve un village peu commun. De l’extérieur c’est un village comme les autres, mais il a une particularité : tous ses habitants sont aveugles ! Une association de personnes non voyantes s’est montée pour dénoncer le regard parfois dégradant et gênant qu’ont les voyants à leur égard. Ils sont vus avec leur handicap. Ils décidèrent de créer ce village réservé à leur état. Un jour, six habitants de ce village décidèrent d’aller faire une randonnée à l’extérieur du village. Ils rencontrèrent un homme et distinguèrent par leur fine sensation qu’il était différent d’eux. Ils discutent avec le voyageur et particularisent qu’il voyage sur un animal. L’homme leur dit qu’il chevauche un éléphant ! Qu’est-ce qu’un éléphant, s’exclament-ils. Tant bien que mal l’homme essaie de leur décrire cet animal. Ils veulent en savoir plus, mais ne pouvant le voir, ils vont faire connaissance avec cet étrange animal par leur sens du toucher. Les six aveugles s’approchent et commencent à toucher la bête. L’un le touche au niveau du ventre, l’autre les pattes, un autre les oreilles, et bien évidemment sans oublier la queue et encore la trompe. Le sixième animait de plus de courage va jusqu’à chevaucher l’éléphant.

Au retour de leur randonnée, ils racontent aux autres villageois leur expérience exceptionnel. De toute évidence les autres leur demandent de leur décrire cet animal nommé éléphant.

Le premier leur dit : c’est comme un mur lisse…

Le second l’interrompe et lui dit : pas du tout, ce n’est pas ça un éléphant, c’est plutôt comme un grand nénuphar qui bouge dans l’air…

Insupporté par cette description le troisième lui coupe la parole : vous n’avez rien compris, un éléphant c’est comme un gros serpent…

ETC., ils se chamaillent sur le descriptif de l’éléphant. Leur débat s’étend toute la nuit, là où chacun prouve que sa ‘’vision’’ est la meilleure et que les autres n’ont rien compris et n’ont rien ‘’vu’’. Jusqu’aujourd’hui ils sont en discussion sur la juste description d’un éléphant.

Cette histoire nous livre plusieurs leçons.

Rav Yoel Dahan en conclut que là où les choses dépassent l’homme, il est tel un aveugle qui essaie de décrire la totalité des choses dont il ne voit rien !

Voyons dans cette histoire que notre vue est limitée et parfois emprisonnant. Ayons l’honnêteté de reconnaître que nous n’avons en face de nos yeux qu’une infime partie de la réalité. Ne donnons pas un sens général en se basant uniquement sur ce que nos yeux voient.

Allons plus loin. Même ce que nous voyons, c’est-à-dire même a partie des choses que nous voyons, sachons l’interpréter correctement, si l’exercice est possible.

Ce n’est pas notre dernier mot !

Ce que tu vois ne concerne que TOI. Et le plus important n’est pas ce que tu vois mais ce que tu vas devenir à travers ce que tu vois. Au lieu de te prendre la tête avec les autres, qui souvent ne te comprennent pas, et c’est normal ils n’ont pas vu ce que tu as vu. C’est d’ailleurs, e semble-t-il la force de Yaâkov : il ne polémique pas autour de sa vision, j’ai vu ça n’implique que moi-même. Le plus important n’est pas cette interprétation tant espérée autour de ce que l’on voit (ou ne voit pas). On vit trop dans la passivité, on attend que quelqu’un interprète notre histoire, notre vie, nos rêves. Interprète les choses comme tu le comprends, avec toute l’honnêteté que cela implique bien évidemment, mais au lieu de polémiquer avec les autres, vis tes rêves élance toi et surtout arrête de rêver ta vie. Surtout arrête de sommeiller, dors quand il le faut et avance…                       

Étiquettes: