Rav Imanouel Mergui
La parole a fait beaucoup parler d’elle ! Une des facultés malencontreuses de la parole est l’action de maudire. On a un pouvoir de détruire l’autre par de nombreux moyens mais celui de la parole est inégalable. Nous connaissons les dégâts causés par la parole comme la médisance ou encore l’insulte, le mensonge, la délation ; mais cette faculté de maudire est particulière, et, il me semble qu’on n’en parle pas assez. Le Gaon De Vilna écrit dans une lettre qu’il envoie à sa femme : « si jamais tu entends les enfants proclamaient des malédictions, frappe les sans pitié ! ». Sans traiter ici de la question de ‘’frapper les enfants’’ on peut facilement constater la gravité du maudire à travers cette sentence conseillée par le Gaon de Vilna : « frappe les sans pitié ! ». Pourquoi est-ce si grave de prononcer une malédiction à l’égard d’autrui ? J’ai constaté que dans les discordes de couple ce qui fait le plus mal c’est la malédiction que les conjoints s’envoient, parfois même cela fait plus mal qu’un coup physique. Il est évident, d’un point de vue psychologique, que ce conjoint qui en arrive à maudire l’autre est atteint et doit se faire soigner. Malheureusement la malédiction ne s’arrête pas là. On retrouve des gens qui maudissent leurs enfants. D’autres encore en arrivent à maudire leurs parents (ou beaux-parents). Et sans doute que le pire se retrouve chez ceux qui se maudissent eux-mêmes !… Se maudire soi-même est une interdiction de la Tora comme le note la Michna au traité Chévouot 35a..
La première fois où la Tora traite de la malédiction c’est dans Chémot 21-17 où elle annonce en ces termes « Celui qui maudit son père ou sa mère mourra ». Rachi explique que ce verset vient nous indiquer que la femme (même mariée – Yalkout Yossef) est également tenue par l’interdiction de maudire et la peine qui s’en suit ; par contre l’enfant – inférieur à l’âge de la bar-mitsva – n’est pas concerné par cet interdit. Je m’interroge sur ce commentaire de Rachi : 1) pourquoi aurions-nous pu penser que la femme n’est pas concernée par cet interdit ? 2) pourquoi aurions-nous pu penser que cette loi s’applique à l’enfant ? Qu’Hachem éclaire nos yeux et notre esprit pour comprendre correctement le message profond de ses préceptes ! Rachi poursuit : la peine de mort encourue pour qui viendrait à maudire l’un de ses parents est sékila-lapidation. Le Even Ezra rappelle que l’interdiction de maudire est aussi bien en employant le nom de D’IEU ou même sans mentionner son nom (Selon Yonathan ben Ouziel il semblerait que l’interdiction de maudire les parents ne soit qu’en prononçant le nom divin – Yalkout Yossef page 523 défend l’idée que s’il a maudit ses parents par un des noms divins il est passible de peine de mort alors que s’il les maudit par un nom d’emprunt (kinouy) il ne sera passible uniquement de flagellation). Le Netsiv de Volosyn s’appuyant sur une déduction du texte écrit que cette interdiction s’applique même si l’enfant ignore qui sont ses parents, c’est-à-dire qu’il ne les nomme pas mais s’exprimerait de la sorte « maudit mon père ou ma mère, ceux qui m’ont mis au monde ». L’interdiction de maudire n’est donc pas rattachée au rapport que l’enfant a avec ses parents ou celui que les parents ont avec leur enfant, voilà que même ignorant qui sont ses parents l’homme n’a pas le droit de les maudire !!! Les parents c’est bien plus qu’une relation parents-enfants. Les parents sont un concept. L’interdiction de maudire les parents est dite même après leur mort, comme explique le Méiri la malédiction se rapporte à l’âme de la personne or celle-ci est immortelle (Yalkout Yossef page 525). Maudire c’est toucher l’essence de l’être or cette essence est présente éternellement. Le converti n’a pas le droit de maudire ses parents non juifs – Yalkout Yossef page 532. Même si les parents sont des impies il sera interdit de les maudire, voilà que Ra’hel a été punie d’avoir fait de la peine à son père Lavan même si c’était pour l’éloigner de la faute ! Yalkout Yossef page 554. Mais attention écrit Yalkout Yossef page 325 « les parents doivent être vigilants de ne point maudire leurs enfants,
même s’ils sont en colère, ceci engendrerait beaucoup de mal pour eux-mêmes et pour leurs enfants ! ».
On retrouve un autre verset dans la Tora citant un autre commandement concernant l’interdiction de maudire. Il est écrit au Lévitique Vayikra 19-14 « tu ne maudiras point le sourd ». Ce verset interdit la malédiction prononcée à l’égard du sourd mais en réalité cette interdiction veut qu’on ne maudisse personne. S’il en est ainsi pourquoi la Tora a précisé le sourd ? Plusieurs réponses sont proposées (voir également Rachi). Rambam écrit (Sanhédrin chapitre 26) « la Tora a précisé le sourd parce que celui-ci n’entend pas ce qui lui est adressé et ne sera pas gêné par les malédictions qui lui sont adressées » ; à plus forte raison toute personne ne doit pas être maudite du fait de la peine et la gêne causées en plus de la malédiction. Maudire n’est pas seulement une parole qui va peiner l’autre ou le mettre mal à l’aise, c’est bien plus que cela. Voilà que le sourd n’est en rien au courant de ces propos maléfiques qui sont vociférés envers lui et pourtant cela est interdit – la parole est porteuse même si l’autre n’en n’est pas conscient. Toute malédiction prononcée envers quiconque, sachant qu’il est maudit ou l’ignorant, est une faute ! Le Ramban analyse la raison qu’il arrive à l’homme de maudire le sourd, selon lui l’homme choisit de s’attaquer au faible, à celui qui ne pourra répondre à son attaque ! En somme maudire c’est faire preuve de sa propre faiblesse.
En réalité de le maudire il y a un phénomène assez particulier : l’homme se sent faible et ne sait plus comment réagir face à son adversaire. Pour se sentir plus fort il va lui montrer qu’il n’a pas peur d’user de tous les moyens pour l’attaquer. Il veut montrer à l’autre qu’il lui est supérieur, à tel point qu’il peut lui adresser des propos maléfiques et, de surcroît, en employant le nom d’Hachem ! Rien ne le retient. Pire encore il prend D’IEU dans son partie, il est sûr que D’IEU est d’accord avec le jugement qu’il porte sur l’autre et sur ce qu’il lui souhaite. Le verset du Lévitique cité plus haut termine en ces termes « véyaréta méélokéh’a – et tu craindras l’Eternel ». Pour le Ramban cette conclusion vient dire : si tu t’attaques au vulnérable tel le sourd, sache que D’IEU sera là pour le défendre ! Selon notre discours on dira : toi qui prend D’IEU à partie et l’associe à ta malédiction sois prudent parce que ta malédiction jetée envers l’autre risque de se retourner contre toi. Tu associes D’IEU à ta malédiction mais rien ne t’assure que D’IEU n’approuve ton désir de voir l’autre ‘’crever’’ !
Le Netsiv écrit : « la Tora veut augmenter le CHALOM et le respect entre les hommes, pour cela la Tora nous interdit de prononcer des malédictions à l’égard d’autrui. Le Raavad qu’en maudissant l’autre c’est comme si on adressait cette malédiction envers le Créateur et ce parce qu’en chaque être humain se trouve l’image divine – le tselem élokim. Celui qui dénigre l’autre au point de ne pas respecter l’image divine qui est en lui (paradoxalement en utilisant le nom même de D’IEU) il dénigre automatiquement l’image de D’IEU qui est en lui-même, n’étant plus rattaché à l’image divine il est tel une bête sauvage et, bien entendu ceci est la cause de comportements bestiaux dénués de CHALOM ! ».
Le sujet de la malédiction ne s’arrête pas là. On peut lire dans Chémot 22-27 un verset très surprenant : « tu ne maudiras pas l’Eternel. Le prince de ton peuple tu ne maudiras pas ». Ce verset contient l’interdiction de blasphémer et de manquer de respect au représentant juridique et religieux de la communauté – Rachi. Toucher à ces autorités est un blasphème !!! Ramban explique qu’il s’agit de celui qui maudit le juge après avoir été condamné par celui-ci. Effectivement l’homme a beaucoup de mal d’accepter sa condamnation quand bien même exprimée par le spécialiste de la loi. Son unique recours à sentir un brin de supériorité est de maudire cette autorité gênante. Le Sforno rappelle au condamné qu’il ne peut pas lui-même accepter sa défaite et ce parce que par excellence l’homme ne peut voir ses torts et ses erreurs. C’est-à-dire que je ne peux même pas envisager que l’autre voit en moi une faiblesse et une faille, il devient l’objet de ma haine ce qui m’autorise à le maudire. « L’homme dans sa sottise haït le juge et l’autorité et s’efforce de se lever contre lui pour l’abattre et l’anéantir, or ces autorités sont la base sur laquelle repose la terre, les atteindre c’est source de nombreux malheurs » – écrit le Ramban (Vayikra 19-14). Selon le Netsiv ce verset inclut toute forme d’irrespect envers les guides communautaires. Effectivement, poursuit le Netsiv, le guide est souvent l’objet de mépris parce qu’il ne satisfait pas ses fidèles comme eux le désirent. C’est comme si on attendait du RAV quelque chose et que s’il n’est pas à la hauteur’’ de me satisfaire in vaut plus rien. Certains guides ont tellement bien saisi ce phénomène qu’ils se plient eux-mêmes aux désirs de ce qui les entourent, afin de préserver leur appréciation positive à leur égard. Mais, bien évidemment cette façon d’agir est déplorable en plus d’être mensongère. Le RAV a devant lui deux perspectives ou bien il dit la vérité et annonce la vraie parole de la Tora au prix d’être haït et maudit (Moché Rabénou avait lui-même subit de tels comportements vils…)ou bien il dit des choses qui font plaisir au peuple, certes il sera aimé mais D’IEU le détestera comme il est arrivé durant toute l’histoire aux escrocs de la Tora et de la vérité.
J’ai brièvement et superficiellement traité du sujet de la malédiction qui est d’actualité lorsqu’on écoute les gens se disputer. La Tora ne s’arrête pas là il y a encore beaucoup d’éléments dans ce domaine. Nous avons vu que la malédiction est une interdiction grave qui malheureusement est encore d’actualité. A quand la corrigerons-nous ?!
Le paradoxe de la malédiction est d’associer D’IEU au mal qu’on veut faire à l’autre, paradoxe exprimé en ces termes par Rav C.R. HIRCH zal « maudire c’est appeler D’IEU qui est bonté par excellence et l’associer à notre mal ! » (H’orev page 257). « Le mal trouve son apogée dans le maudire et encore plus chez ceux qui maudissent les représentants de la communauté tel : le père, la mère, le juge et tous les guides » – écrit encore RAV HIRCH zal.