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Le crâne flottant

Rav Imanouel Mergui

Un des textes les plus surprenants qu’on peut lire dans les Pirké Avot (chapitre 2 michna 6) est l’histoire de la tête flottante : « un jour Hilel a vu une tête qui flottait sur l’eau, il s’adressa à elle et lui dit : parce que tu as noyé on t’a noyé, et qui t’a noyé sera finalement noyé à son tour ! ». Avant même de consulter les commentaires sur cette michna il est facile de décoder le premier message : ce qu’on fait aux autres se retournera contre soi-même. Et puisque le maître de cet enseignement est Hilel cela nous rappelle ce qu’il a enseigné par ailleurs. Au traité Chabat 31a le Talmud nous raconte qu’un non juif désireux de se convertir au judaïsme consulta Hilel en ces mots ’’je veux me convertir à la condition d’apprendre toute la Tora sur un seul pied ! ». Hilel lui répondit « ce que tu désapprouves ne le fais pas à autrui – ceci est toute la Tora ! ». Quelle affaire surprenante que de vouloir se convertir sur un pied ! Quelle réponse du maître de voir en cette formule toute la Tora ! Quel est l’enjeu de ce débat ? Hilel voulait certainement, me semble-t-il en tout cas, positionner ce non juif candidat à la conversion face à l’absurdité de ses propos, pourquoi ? Prenez n’importe qu’elle métier et demandez à son artisan de vous servir ’’sur un pied’’, on imagine facilement quelle sera sa réaction. Tu veux que je t’apprenne toute la Tora sur un pied, pourquoi pas, cependant t’es-tu imaginé si à mon tour je t’imposais la même condition ?! Hilel a joué l’effet reflet dans sa réponse – je te donne ce que tu veux à la condition qu’à ton tour tu répondes aux mêmes exigences que tu m’imposes. C’est cela même toute la Tora : positionner l’homme face à lui-même. Si tu fais flotter la tête d’autrui attends toi à ce que ta tête flotte également, et ne te méprends pas ceux qui feront flotter ta tête trouveront le même sort. Peut-être que la tête qui flottait n’était autre que la tête de Hilel lui-même, en somme il a vu son reflet dans l’eau et peut-être qu’il se parlait à lui-même. Je ne peux être exigeant envers l’autre qu’à hauteur que je suis exigeant envers moi-même. Il y aura toujours ’’quelqu’un’’ pour me rappeler que le prix de ma tête n’est pas plus cher que le prix de la tête de l’autre. Ceci prend un sens particulier face au candidat à la conversion. Effectivement, s’il reste assez énigmatique de comprendre l’enjeu et la motivation de chaque converti à vouloir s’introduire dans le ’’judaïsme’’, il est évident que le converti vient ‘’aussi’’ (?!) rappeler le juif à l’ordre de ce qu’il est. Pourquoi se convertir ? Pourquoi pas, diriez-vous ? Tout simplement je répondrais, sommes-nous capables d’avoir en face de soi des ’’gens’’ qui nous mettent face à nos responsabilités ?! Certes là n’est pas toute la raison du repoussement du candidat à la conversion, néanmoins elle constitue une des raisons. Nous avons déjà tant de mal à supporter ceux qui ont pour rôle de nous rappeler à l’ordre, l’homme dédaigne la critique et ce de la part de qui que se soit : parents, conjoints etc. Chaque converti est un exercice de ce genre (à moins de rouler les convertis et de leur faire croire que la Tora n’a rien de si engageant…). Si tu t’interroges sur la façon dont les autres se comportent à ton égard dis-toi bien qu’ils ne font rien d’autre que de reproduire ce que tu fais subir aux autres. Génial !