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L’ingrédient de la Géoula

Rav Imanouel Mergui

Avec les évènements que nous connaissons aujourd’hui (attentats, guerre, maladie, crise de l’économie etc.), tous s’interrogent sur l’enjeu et l’implication que ces évènements ont quant au sujet de la guéoula. La question est sage, mais attention à la réponse qu’on y apporte. Sur la question que j’ai reçu ces jours ci sur ce sujet ‘’que faut-il penser ?’’, j’ai répondu ‘’il est important également de savoir qu’est-ce qu’il ne faut pas penser !’’. Attention aux pseudos prédicateurs de l’avenir, attention à ceux qui ne se basent pas sur les textes des Sages pour traiter de ce sujet ô combien délicat, attention à ceux qui inventent des textes ou des visions pour commenter ces évènements. Toute réponse qui n’est pas basée sur les enseignements des Sages est mensonger, dangereux et est considérée de faux messianisme. Il n’y a pas de sujet aussi délicat et majeur que celui de la guéoula. Chaque bêtise prononcée nous éloigne de la vraie guéoula. Ce sujet connaît tout un chapitre dans le traité Sanhédrin et des Grandes Figures de la Tora s’y sont penchés tel Maïmonide (fin Mélah’im et Missive à la communauté du Yémen), Maharal (Netsah’ Israël), Ari zal, notre Grand Maître Rav Chlomo Wolbe ztsal (Alé Chour 1) et d’autres encore. Ne perdons pas le bénéfice des évènements actuels par des bêtises et sottises prononcées par des ‘’faux messie’’ et intellectuels non avisés et ignorants, ne passons pas à côté de quelque chose d’essentiel.

C’est déjà un premier point majeur à comprendre, avec et malgré la terreur qui peut régner, malgré toutes les interrogations et incompréhensions les Maîtres prennent très au sérieux ces évènements et les analysent avec toute la sagesse, la profondeur, l’esprit détaché d’émotions et d’émotivité !!! La beauté de l’évènement ne doit pas être gâchée par sa dramatisation…

Prenons le temps de lire, de déguster et d’apprécier ce qui suit – texte tiré du Maharal Netsah’ Israël chapitre 29 : « Dans la Méh’ilta tu trouves que les exils ne se réuniront que grâce à la ‘’émouna’’, il dit : Grande est la émouna devant Celui qui a dit ‘’que le monde soit’’ puisque par le mérite de la émouna qu’ont éprouvé les juifs la présence divine s’est présentée sur eux et ils ont pu chanter la chira lors de la traversée de la mer. Ainsi tu trouves que les Enfants d’Israël n’ont été libéré de l’Egypte uniquement par le mérite de la émouna ! etc’’. La émouna qu’ont eu les Béné Israël leur a valu quelque chose d’énorme : la sortie d’Egypte et l’expression du chant lors de la passée de la mer. Cela veut dire que la émouna ne se limite pas à ce que nous traduisons ‘’qu’il faut croire en D’IEU et lui faire confiance que tout ce qu’il fait, même ce qui nous parait Mal, est pour le Bien’’. La émouna va bien au-delà de cela, peut-être que cette définition est le début de ce que représente la émouna, mais il manque la fin ! Et c’est bien dommage, par ce que la émouna va changer notre vie. La émouna écrit notre histoire. Ce qui va se passer au-delà du drame dépend de notre émouna au moment où le drame est vécu. La émouna libère l’homme du drame et lui permet de connaître des dimensions qu’il ignorait avant les évènements. La émouna est libératrice, émouna et guéoula sont synonymes. Tu dois vivre quelque dimension de libération à l’intérieur même de ce qui te paraît être un emprisonnement. La guéoula ne vient pas APRES l’exil, elle se prépare A L’INTERIEUR même de la catastrophe ! Il se passe là quelque chose de dramatique et de libérateur en même temps ! La guéoula ne se définit pas comme étant l’après exil. La guéoula c’est avoir un autre regard sur l’exil et ses drames. La guéoula commence et se trame à l’intérieur du drame. Pardon, si je me répète mais il faut bien comprendre ce point extrêmement délicat qui n’existe que chez les juifs ! Vous ne lirez pas cela dans les journaux… On touche un sujet d’autant plus passionnant car les drames de l’exil vont exciter notre émotion et par conséquent aveugler notre esprit. On se retrouve au carrefour dangereux de se voir analyser les évènements uniquement de par leur aspect dramatique, et là on passe à côté de quelque chose, pour le futur certes mais également pour le présent. La guéoula commence là, ici, à l’intérieur de la galère. Le futur dépend du présent et si au présent on ne vit pas une dimension libératrice – ‘’guéoulatique’’ dirais-je, on ne peut espérer la guéoula de demain ! La émouna que nous vivons à l’intérieur du drame est en train d’écrire et de dessiner la guéoula. On peut légitimement s’interroger pourquoi la guéoula doit passer par quelque chose de dramatique ? Sage et importante question que tous les Maîtres ont traité, mais selon mon discours je dirais : puisque seule la émouna écrit l’histoire de la guéoula il faut passer par des évènements qui vont mettre notre émouna à l’épreuve, puisqu’il est facile de croire en D’IEU quand tout va bien. Le drame est le baromètre de notre émouna ! Et, il renforce notre émouna. Dans ces moments l’exercice est de se renforcer dans la foi pour écrire la joie qui nous en libèrera. Il faut comprendre

désormais que la guéoula n’est pas juste un moyen d’être libéré physiquement et techniquement du drame, la guéoula c’est une dimension qu’on ne peut connaître qu’à travers la émouna. Les Béné Israël ont pu ‘’chanter’’ et être libéré de l’exil avec tout le programme et la grandeur que cela connaît et contient uniquement par le biais de la émouna… Cela veut dire que la émouna elle-même est une ‘’madréga’’, comme écrit le Maharal – un niveau à accéder, et évoluer à travers lui.

C’est ainsi que le Maharal commence son explication sur le passage de la Méh’ilta « il vient ici nous éclairer et nous expliquer le niveau évolutif de la émouna ‘’maâlat haémouna’’ ! ».

Le sujet de la guéoula est d’autant plus important que délicat et, malheureusement, les sottises prononcées à ce sujet ne peut que repousser la venue du Machiah’. Certes les évènements que nous vivons à l’heure actuelle nous invitent à en parler, je dirais plutôt à étudier ce sujet passionnant et profond. En ces jours de H’anouca nous devons œuvrer pour que la lumière de la Tora repousse l’obscurité de la bêtise humaine !

Lorsque la Méh’ilta annonce que les exilés seront réunis par le biais de la ‘’émouna’’, cela veut dire que même si chaque juif se dit croyant il y a une dimension de la émouna que nous n’avons pas encore atteint. Il me semble d’ailleurs que la première chose à intégrer est que justement la émouna est un ‘’niveau’’, pour rappeler l’expression fabuleuse du Maharal « maâlat haémouna » ; ou encore comme écrit Rabi Tsadok Hacohen « par la émouna l’homme peut atteindre tous les niveaux auxquels l’homme peut avoir accès, et même la guéoula future en dépend ! » (Péri Tsadik). Il y a quelque chose de sur-dimensionné et qui sur-dimensionne l’homme dans la foi en D’IEU, et une fois au niveau de cette émouna l’homme est libérée, c’est donc que la émouna elle-même est libératrice. La émouna n’est pas que le moyen d’accéder à la guéoula, elle est la guéoula elle-même. Vivre dans l’univers de la émouna c’est vivre dans le monde de la guéoula ! Il ne manque pas d’exemples et de preuves dans la Tora qui peignent cette idée, je voudrais en citer une qui est en rapport avec notre paracha (Mikets) : la paracha ouvre en ces termes « Ce fut aux termes de deux années et Parô fit un rêve (41-1) ». Le Midrach rattache ce verset à celui cité dans Iyov 28-3 « IL fixa un terme à l’obscurité » – le temps que Yossef devait rester en prison était fixé, au terme de ce temps Parô fit un rêve ! Cela veut dire que le rêve de Parô marquait la libération de Yossef ! Yossef est libéré lorsque Parô rêve. Comment cela ? Le Gaon Rav Chmouel Wozner ztsal écrit (Chevet Halévi Béréchit) « c’est à l’intérieur de l’exil, lorsque les drames se multiplient que D’IEU envoie la lumière du ôlam haba !; c’est le sens des propos du Midrach, lorsqu’il fait encore sombre dans l’obscurité de l’exil D’IEU envoie la lueur du ôlam haba. C’est ainsi que les choses se déroulent pour Yossef – précisément lorsqu’il est emprisonné au fond des ténèbres du puits soudain la lumière du miracle apparaît sous la forme du rêve de Parô, qui annonce sa liberté ! ». Nous voyons encore une fois que la guéoula ne vient pas APRES l’exil, elle s’inscrit et débute à l’INTERIEUR même de l’exil ! C’est là où il faut beaucoup de émouna puisqu’il faut admettre et voir cette préparation de la guéoula déjà dans les ténèbres et les souffrances de l’exil ! La guéoula n’est pas un futur mais elle se vie au présent. D’ailleurs dans les prières quotidiennes nous disons bien ‘’matsmiah’ yéchouâ’’ – D’IEU fait germer la délivrance, c’est dit au présent.

Pénétrons davantage les profondeurs de la émouna dans les textes du Maharal, et nous verrons de façon plus claire quel est son sens réel, celui qui va bien au-delà d’un banal ‘’je crois en D’IEU dans mon cœur’’. Et, si D’IEU veut, nous vivrons la guéoula dans son sens authentique et non folklorique.

La première question qu’il faut analyser c’est de savoir qu’est-ce que la émouna ? Que veut dire ‘’croire en D’IEU’’ ? De nos jours on entend cette phrase dans des situations extrêmes, par exemple lorsqu’une personne est gravement malade, au seuil de la mort, on se dit il faut beaucoup de émouna et de foi en D’IEU pour espérer sa guérison. Si cela est vrai c’est également insuffisant, la émouna ce n’est pas un médicament qu’on prend lorsque tout va mal, il faut arriver à vivre la émouna lorsque tout va bien. La émouna n’est pas l’exercice de ceux qui sont aux frontières de la vie, à ceux qui galèrent financièrement ou autres épreuves dramatiques. La émouna c’est inscrire tout son mode de vie dans un univers ‘’émounatique’’

  • Qu’est-ce donc la émouna ?

A cela le Maharal répond : « la émouna est synonyme de ‘’dvékoute bo yitbarah’ mikol vakol’’ – se coller à D’IEU pleinement, lorsque l’homme sera croyant de D’IEU dans tout son cœur et tout son être, c’est cela le sujet de la émouna ». Il n’y a pas un coin de ma personne et celle-ci dans toute sa profondeur – cœur et être intime – qui n’est pas rattaché au divin ! « Le croyant se rattache à ce en quoi il croit ! Le croyant ne détache rien de sa personne d’être liée à D’IEU ». La émouna n’est pas un concept idéologique, elle est un exercice des plus concrets qui invite l’homme à coller son être profond au divin. Il faut vivre la émouna depuis l’intérieur. La émouna commence dans le cœur et l’être intime de l’homme. ‘’Je crois en D’IEU’’ n’est pas un slogan, c’est la preuve que je suis collé à D’IEU, attaché pleinement, profondément. On ne peut pas croire en D’IEU et être détaché un tant soit peu du divin. Tout détachement prouve une foi de loin. Ma proximité d’avec D’IEU témoigne de la foi que j’ai en LUI.

En quoi ceci explique la guéoula ? Le Maharal poursuit : « la émouna c’est sortir du nombrilisme (réchout atsmo) et se trouver dans l’univers de D’IEU pour se coller à LUI ». Il y a ici un point fondamental, la guéoula n’est pas attendue pour que l’homme soit libéré des peuples et soumis à sa vision propre et humaine du monde. La guéoula c’est pénétrer l’univers de D’EU. C’est sortir de son propre univers, ce qui veut dire que l’enjeu de l’exil n’est pas tant l’emprise des nations sur Israël c’est pire que cela ! L’exil c’est l’emprisonnement de l’homme dans son propre univers ! Il faut sortir de soi. Le monde moderne reconnaît une toute puissance à l’homme, mais en même temps elle n’arrive pas à promettre à l’homme la liberté tant attendu. Liberté absolue ne peut pas provenir de l’homme. En 5736 (il y a quarante ans !) notre Grand Maître Rav Chlomo Wolbe ztsal disait à peu près en ces termes « comment se fait-il que la haine remplisse l’univers de la société de façon si prenante alors que les hommes ont tant investi pour assurer une vie plus heureuse ?! » (Olam Hayédidoute page 19). Il y a un paradoxe dans notre société : d’un côté l’homme cherche le bonheur de la vie (ce qui est légitime) et d’un autre coté l’autre l’empêche d’y avoir accès (la haine). L’homme refuse d’entendre que le bonheur ne se trouve pas dans le monde des humains ! Je suis toujours marqué par le premier mot qui ouvre les Téhilim ‘’ACHREI’’ ! Le roi David nous offre un programme s’étalant sur cent cinquante psaumes qui définit le bonheur ! Au vu de ce discours on dira que le bonheur, la délivrance, la guéoula c’est sortie de soi, le soi avec toute sa complexité, sa réalité, sa valeur est insuffisante pour promettre à l’homme le bonheur. On ne dit pas que l’homme doit s’annuler, on dit que l’homme existe dans toute la liberté du soi seulement s’il sort du soi emprisonnant pour se retrouver dans le soi divin.
«L’exil c’est cette séparation de D’IEU(!), lorsque les juifs sont collés à D’IEU ils ne peuvent pas être exilés de la terre, mais lorsqu’ils se sont séparés de D’IEU alors ils sont partis en exil – par la émouna en D’IEU ils se relient à D’IEU et peuvent à nouveau être libérés », poursuit le Maharal.

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