Aller au contenu

Mon rapport à l’argent de l’autre

Rav Imanouel Mergui

A deux reprises dans la paracha de H’ayé Sara, Rachi explique que les chameaux de Avraham étaient muselés pour ne pas qu’ils aillent se nourrir dans les champs privés afin de ne pas voler ! (24-10 et 32). Nous voyons que s’inscrit dans le vol le fait d’empêcher ses bêtes à ne pas consommer ce qui appartient à autrui. Au traité Baba Kama le Talmud nous indique quand le propriétaire est tenu de rembourser ce que son animal à consommer sans l’accord de de celui à qui appartenait ce qui a été mangé.

Rabi Yossé dit « que l’argent de ton ami te soit aussi cher que le tien ! » – Avot 2-12.

Tiferet Israël explique : « c’est là la définition de la ‘’gmilout h’asadim’’ : tu dois t’efforcer d’augmenter l’argent de l’autre et ne pas diminuer son argent ; et s’il en est ainsi de l’argent de l’autre à fortiori que tu dois tenir en valeur l’énergie de son corps, son respect et son intellect, car son argent si tu lui as perdu ou abîmer il est possible de le rembourser mais le reste si tu le lui as abîmer c’est perdu. Pour tout ce qui est à l’autre tu dois le renforcer et l’augmenter, ne pas l’affaiblir et l’amoindrir ! ». Ceci va bien au-delà du respect du bien d’autrui, c’est faire tout ce qui est en notre pouvoir pour ne pas diminuer ses biens mais les augmenter. Comme s’il y avait deux perspectives : diminuer ou augmenter les biens d’autrui ! Quel regard avons-nous sur l’argent de l’autre ? Pourquoi tant de jalousie et de ‘’ayin ara’’ sur sa belle voiture, ses beaux meubles etc. ? Pourquoi l’homme est rongé de la réussite de l’autre ? Pourquoi toujours vouloir ce que l’autre a ?

Le Maharal Dereh’ H’aïm écrit également « si tu apprends à faire attention aux biens d’autrui à plus forte raison que ton ami lui-même te sera cher ». Le respect du bien d’autrui s’inscrit dans le respect de l’autre, pour le Rambam cela découle du commandement d’aimer son prochain, comme il l’écrit dans ses Hilh’ot Déote 6-3, comme le rappelle Rav Hertman (note 1382). Ceci est fort intéressant parce que le rapport que j’ai avec l’argent d’autrui témoigne du rapport que j’ai avec autrui. L’argent est indissociable de son propriétaire.

Cet enseignement de Rabi Yossé connait des implications qui vont bien au-delà de la morale, effectivement le Méléhet Chlomo rappelle les propos du Rambam Malvé Vélové 1-3 (voir également Choulh’an Arouh’ 97 4 et Hagaot Hagra 6 et Smâ 5) « il est interdit d’emprunter de l’argent pour des besoins de peu de nécessité si on ne sait pas comment on va rembourser l’argent ! Le prêteur a le

droit de refuser de prêter de l’argent s’il connaît le comportement de l’emprunteur ! ». Cela veut dire que lorsque j’emprunte de l’argent je dois me soucier avant même d’emprunter du mode de remboursement et de ma capacité de rembourser, et, dans certains cas, la personne sollicitée a le devoir de refuser de prêter de l’argent ; tout cela basé sur le principe énoncé par Rabi Yossé de chérir l’argent de l’autre autant que le mien. Hagahot Maîmoniyot (1) cite l’enseignement du Talmud qui permet au tribunal dans certains cas de contraindre l’emprunteur par des coups afin de rembourser sa dette !

De toute évidence Rabi Yossé ne vient pas nous dire qu’il ne faut pas voler et détériorer les biens d’autrui puisque ceci est interdit de par la Tora, s’exclame le Rachbats. Rabi Yossé vient plutôt nous mettre en garde de considérer l’argent de l’autre tel notre propre argent. Cela va jusqu’à ne pas divulguer de mauvaise information, de surcroit fausse, sur les biens d’autrui, comme le stipule Avot Dérabi Natan. On n’a pas le droit de médire sur les biens d’autrui !

Le Milé Déavot soulève une problématique : la règle dit ta vie passe avant celle d’autrui, en est-il ainsi pour l’argent doit-on dire ‘’mon argent passe avant celui d’autrui ?!’’. Il ne faut pas s’empresser de répondre à cette question puisque si en général de toute évidence je dois sauver mes biens avant ceux d’autrui il existe des cas où je m’occuperai des biens d’autrui avant des miens… Comme écrit Rabi Avraham Azoulay dans Ahava Bétaanouguim : parfois il faut savoir être indulgent avec son argent pour aider l’autre à sauver le sien. Ceci contient également l’idée notée par le Maharal Netiv Hanédivoute (rapportée par Rav Hertman Avot 2-12 note 1382) : ne sois pas rigoureux avec ton argent si tu as perdu peu d’argent voire moins d’une ‘’prouta’’, mais lorsqu’il s’agit de l’argent de l’autre ne minimise pas sa perte même si elle vaut moins d’une ‘’prouta’’ ! (prouta représente la plus petite pièce de monnaie). C’est là un sentiment bien connu on peut rentrer dans un courroux sans égal lorsqu’on subit une perte d’argent et minimiser la même perte lorsqu’il s’agit de l’argent de l’autre…

Je tiens tout d’abord à rappeler et à préciser que cette question ne se limite pas à une théorie purement philosophique, si cet aspect de l’étude est intéressant il est incomplet s’il ne se traduit pas par des faits ! Les lois de ‘’mon rapport à l’argent d’e l’autre’’ sont plus connues sous l’appellation de ‘’H’ochen Michpat’’ ou encore ‘’diné mamonot’’ dans le jargon de la halah’a compilé par le Choulh’an Arouh’. Le Talmud a consacré les trois grandes ‘’babote’’ pour ce sujet passionnant : ‘’baba kama’’, ‘’baba métsia’’ et ‘’baba batra’’ ! Ainsi dans le Rambam et le Choulh’an Arouh’ se sont des livres entiers qui en traitent. C’est par centaines et milliers que des questions pratiques sont traités dans les livres de halah’a. Il existe des tribunaux composés de dayanim spécialisés en la matière qui ne traitent que de ces cas. Cette question touche tout ce qui a trait à l’argent : le prêt, le vol, le

commerce, l’héritage, les dommages causés, etc. Nous vivons dans un monde où l’on est confronté à l’argent de l’autre, volontairement ou involontairement, directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, de toute évidence on ne peut se détourner du bien d’autrui. Quelle part de responsabilité ai-je dans ce qui arrive au bien d’autrui c’est bien là toute la question – à laquelle on ne peut se suffire d’un grossier ‘’oh !, pardon je suis désolé’’. S’il faut certainement s’excuser pour obtenir le pardon de la part de l’autre, l’excuse ne corrige pas la perte occasionnée. Rav Chah’ zal racontait un choh’ète (qui pratique l’abattage rituel) s’est rendu auprès de Rav Israel Salanter zal et lui dit ‘’rabbi j’ai cessé de pratiquer la chéh’ita vu la délicatesse de cette pratique et les nombreuses questions et responsabilités qui en découlent !’’, Rav Israël lui dit ‘’que vas-tu faire désormais ?’’. L’homme répondit ‘’je vais ouvrir un commerce’’, alors Rav Israël lui rétorqua ‘’ les lois de la chéh’ita ne connaissent que très peu de halah’ot par rapport à celles du commerce, de plus les lois de la chéh’ita ne concernent qu’un seul commandement de la Tora celui de ne point consommer de la viande non abattue rituellement, alors que les lois du commerce touchent de nombreux commandements de la Tora : le vol, le mensonge, la tromperie, la rectitude dans les poids et mesure etc. comment ne crains-tu pas de les enfreindre ?!’’ (Rabi Itsélé page 326)

Lorsque dans Pirké Avot 2-12 Rabi Yossi nous dit donc ‘’que l’argent de ton prochain te sois aussi cher que le tien’’ il touche quelque chose de fondamental dans la vie de l’homme, il ne donne pas un petit conseil mais il nous sollicite sur un des principes gravissimes de la Tora.

Rav Hirch écrit : « on ne doit pas croiser les bras face au besoin d’argent de l’autre, on doit se réjouir de pouvoir aider l’autre financièrement ! ». Lorsqu’on est sollicité pour donner de l’argent au nécessiteux on éprouve bien souvent un sentiment de désagréable. Ce maître tel Rabi Yossi nous invite là à ressentir une joie sans égale pour ce qui est d’aider l’autre dans son besoin. Qu’est-ce que je peux faire pour l’aider ? J’ai la chance d’aider celui qui est dans le besoin ! Considérer l’argent de l’autre inclus notre rôle à partager de nos biens avec qui en a besoin. Hormis la mitsva en elle-même de tsédaka, il y a là un enthousiasme à avoir lorsqu’on est sollicité pour lâcher de son argent pour qui en a besoin. De la même façon que si nous sommes dans le besoin on est bien content de trouver écho à nos demandes ainsi on doit donner et offrir ce sentiment à qui nous le demande. J’affirme sans aucun doute que la réponse que nous attendons de D’IEU pour ce qui nous concerne est le reflet de la réponse que nous offrons à qui nous appelle ! Je ne peux pas demander à D’IEU de répondre favorablement à mes attentes si je dégage le nécessiteux qui me réclame de l’aide. D’IEU répond à l’homme de la même façon que l’homme répond lui-même à qui l’appelle !!! Réjouissons-nous de pouvoir porter secours et soutien à qui en a besoin. Cessons ce regard mesquin et détourné face à l’appel du nécessiteux…

Rav Lau chalita dans son Yah’el Israël rappelle un point important : cet enseignement de Rabi Yossi répond à ce qu’on entend parfois ‘’mais !, je n’ai pas le temps de m’occuper de l’autre’’. Aider l’autre en prenant du temps en plus de l’argent et des biens matériels qu’on pourrait lui offrir. L’absence de temps pour aider l’autre témoigne manifestement de notre refus de l’aider tout simplement. N’avons-nous pas cinq minutes pour signer un chèque ?! Rav Lau rappelle encore : « un employé qui n’exploite pas son temps de travail correctement il est en train de voler manifestement son patron qui le paye ! Si tu étais toi-même le patron aurais-tu apprécié que ton employé perde son temps sur ton compte ?! Certainement pas ». Ceci est intéressant parce qu’un moment donné pour respecter et chérir le bien d’autrui il faut également se mettre à sa place ! « Tous les problèmes de voisinage découlent du manque de respect quant aux biens d’autrui que les voisins se témoignent », quand tu te gares fais attention à la voiture du voisin. Quand tu fais des travaux, sois vigilant au bruit ou autres désagréments que tu pourrais causer au voisinage. Lorsque tu organises une soirée, anniversaire par exemple, as-tu informé le voisinage du bruit et du vas-et-viens occasionnés. Es-tu sûr qu’il est permis de voir ce qu’il se passe dans la boite aux lettres des voisins ?! Sans parler de regarder par la fenêtre du voisin ! Les exemples de la vie quotidienne ne manquent pas dans ce domaine où nous nous devons d’être animés d’une très grande vigilance pour ne pas nuire et d’aucune façon aux biens d’autrui ! Pour résumer on dira « comporte toi avec le bien d’autrui tel tu aimerais qu’il se comporte avec tes biens ! ».

Rav Yaakov Galinsky zal écrit (Véhigadta Vayikra page 77) : Le Sifté Cohen fait remarquer que la Tora dit « celui qui connaît un témoignage en faveur de son prochain pour l’aider dans un conflit d’argent et ne se présente as au tribunal pour aider son ami, il portera sa faute et devra se confesser sur cette faute ! », c’est la seule faute où la Tora parle ainsi parce que que fauter vis-à-vis d’autrui c’est pire que de fauter vis-à-vis de D’IEU ! Le H’afets H’aïm était outré de constater que dans les synagogues les uns et autres se permettent de déplacer les affaires des autres fidèles, comme les chaises, livre de prière ou talit, et lorsque les gens ne remettaient pas en place ce qu’ils déplaçaient il le faisait lui-même, il se levait tôt et venait ranger la synagogue ! (c’est un phénomène bien connu des synagogues, combien les gens détériorent le matériel de la synagogue ou même les toilettes qui sont mis à leur disposition, il s’y croient tout permis- sans parler du manque de respect dû au lieu de culte. Toute détérioration doit être remboursée !).

Le Gaon Rav Yitshak Zilberstein chalita écrit : je ne connais aucune permission que de brancher son portable sur l’électricité de la synagogue pour le recharger ! (Baréhi Nafchi Chémot page 372). L’homme n’est parfois pas conscient qu’il enfreint les lois du vol, il s’insurgera même qu’on puisse penser qu’il vole ! Le vol connaît de nombreuses conséquences, l’une d’elles veut que D’IEU ne réponde pas à ses prières !!! (voir également Pélé Yoets ‘’guezel’’ qui confirme cette idée au nom du

Chémot Raba 22-3). Le pire c’est que parfois la prière elle-même est faite en volant autrui, comme écrit le Sefer H’asidim « celui qui vole le livre de prière de son prochain sa prière est blasphème ! » (Baréh’i Nafchi Dévarim page 606). Malheureusement le vol s’est largement répandu dans nos cercles, pour ne citer qu’un exemple : combien de choses font les employés sans l’accord de l’employeur et bien sûr derrière son dos ! (Baréh’i Nafchi Béréchit page 516).

Rav Chlomo Lewinstein chalita rapporte deux remarques au nom de Rav Israel Salanter zal : un cordonnier sur chaque couture qu’il fait aux chaussures de ses clients doit être vigilant de ne pas voler (combien les commerçants ‘’volent’’ leur client c’est phénoménal !). Rav Israel disiat encore : rentrer chez quelqu’un et laisser la porte ouverte et laisser le froid rentrer ce qui cause que la chaleur sort de la maison s’inscrit dans le vol ! (Oumatok Haor Chémot page 607)

Rav Eliezer Papou zal dans son Pélé Yoets rappelle quelques comportements assimilés au vol qui touchent malheureusement plus d’une personne : emprunter sans rembourser, demander crédit au commerçant et ne jamais le payer, voler le non-juif ce qui est pire que de voler le juif, voler les parents, les employés et enseignants qui se permettent des ‘’vols’’ vis-à-vis de l’employeur, ne pas payer les impôts, celui qui se fait justice lui-même (lorsque la chose est interdite) dans un conflit qui l’oppose à autrui etc. Il est moins grave de mourir de faim plutôt que de voler pour manger !, conclut-il !