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La queue des Lions ou la tête des Renards ? (1ère partie)

Rav Imanouel Mergui

L’homme, cet être social, cherche une place dans l’univers où il se trouve. La place que l’homme cherche et se forge dépend de multiples éléments. Selon quels critères l’homme doit-il se faire une place ? Vers quelle direction se dirigera-t-il pour trouver la bonne place ? Dès sa naissance, les parents vont orienter leur enfant vers la recherche de cette place. Le choix du métier dans la vie a pour ingrédient notamment la place que cette profession va nous livrer dans notre vie sociale et familiale. Ainsi que le conjoint qu’on recherche connaît également cette recherche de place que va nous offrir le dit conjoint. Et en vérité tout ce en quoi nous investissons dans notre vie connaît cette démarche pour s’assurer une place convenable. Cette place tant recherchée et investie va bien au-delà de l’être humain, elle existe encore dans les objets qui animent notre vie : un objet qui n’est pas rangé à sa place peut nous irriter, une place de parking qui nous est piquée est vécue comme un vol. Les enfants sont également concernés par le ‘’c’est ma place’’, à la maison ou à l’école. Et, les couples ne sont pas épargnés de ces chamailleries de place, quelque fois justifiées quelques fois abusées.

La halah’a reconnaît cette culture de l’emplacement de l’objet notamment dans les lois de ‘’mouktsé’’ pour Chabat (interdiction de déplacer certains objets le jour de Chabat). La halah’a la reconnait également pour ce qui est des dommages causés à autrui : un objet qui ne doit pas se trouver là où il est et cause un dommage tient pour responsable son propriétaire mais s’il se trouve à sa place et une personne viendrait à se blesser le propriétaire est déchargée du dommage… ce ne sont là que quelques brefs exemples de la vie quotidienne qui dépeignent – ce que j’appellerais : notre ‘’psychologie de la place’’. Une clé, un téléphone, un vêtement etc. qui n’est pas rangée à ‘’sa’’ place peut causer des conflits conjugaux ! La halah’a reconnaît encore la place des parents à la maison puisqu’un enfant n’a pas le droit de s’asseoir à la place de ses parents. Ce sujet touche également l’homme en tant qu’être universel puisque les peuples et les nations se disputent une place sur le globe terrestre : et, depuis toujours, l’homme se livre à des batailles sanglantes, coûteuses et dramatiques pour délimiter sa place et son territoire dans le monde.

Fort est de constater que D’IEU est appelé MAKOM – LA PLACE ! Les Sages n’ont pas trouvé meilleur adjectif pour nommer D’IEU dans ce monde. D’IEU n’a pas de place dans ‘’ce’’ monde, IL est lui-même la place du monde ! Bien souvent le combat de l’homme n’est pas orienté vers l’autre homme, pour se faire une place, mais l’homme combat D’IEU – consciemment ou inconsciemment, gérer ma place dans un monde où je sais que je dois intégrer ou refouler D’IEU. De toute évidence D’IEU a sa place, mais il est là de façon manifeste (béniglé) ou de façon voilée (nistar), tout dépend de la place que l’homme lui laisse. Mais quel que soit la place que l’homme reconnaît à D’IEU, IL est là. Croyant ou non croyant, idolâtre ou athée, D’IEU ne dépend pas de l’homme : IL EST !, le travail de l’homme est cette prise de conscience et cette reconnaissance de l’ÊTRE. Que tu crois ou non en D’IEU, cela ne change rien pour D’IEU. Son essence, son existence est indépendante de ce que l’homme pense. La pensée de l’homme n’a d’autre incidence que sur lui-même ! Il y a un tas d’évènements dans la vie qui ‘’prouvent’’ que D’IEU est présent (si étant besoin d’apporter une preuve à la présence de D’IEU). La émouna ce n’est pas croire en l’existence de D’IEU, non cela est faux. La émouna c’est vivre avec la conscience de la présence de D’IEU… La émouna c’est reconnaître la place de D’IEU.

Le ‘’c’est ma place’’ occupe une ‘’place’’ importante et majeure dans notre vie. De multiples éléments sont en jeu pour trouver sa place. L’un d’eux, peut-être le plus important est inscrit dans les propos de Rabi Matya ben H’arach au 4ème chapitre des Pirké Avot « sois à la queue des lions et non à la tête des renards ». Avant de comprendre l’enjeu du lion et celui du renard, analysons un point passionnant que ce Maître et en avant : la tête et de queue ! Qui ne cherche pas une place à la tête ?! D’ailleurs à Roch Hachana nous mangeons la tête d’agneau ou de poisson et récitons une prière « que nous soyons à la tête et non à la queue

  • Quelle surprise de voir que ce qui paraît si évident dans la tête de l’homme est ici remis en question et disqualifié. De toute évidence il s’impose de comprendre de quelle tête et quelle

queue parle ici Rabi Matya ben H’arach ?

Rabénou Ovadya de Barténoura commente : « sois à la queue de ceux qui sont plus grands que toi, et ne sois pas à la tête de ceux qui te sont inférieur ». C’est extraordinaire comme vision de la place de l’homme, suis tes supérieurs et non tes inférieurs. Suis tes aînés et non tes cadets. Je dis extraordinaire parce que l’homme a tendance à vivre à l’opposé de ce qui est écrit là, chaque être humain est entre ceux qui le dépassent et ceux qu’il dépasse !

Comment et par quel moyen je vais laisser la gloire d’être à la tête d’un système – ce qui témoigne que je suis supérieur à ceux qui s’inscrivent dans ce système, pour rejoindre un système où je serais à la queue – ce qui veut dire que ceux-là me surpassent ? Ce Maître ne prône pas la médiocrité de l’être, il n’encourage pas à être le dernier de la classe. Je pense qu’au contraire il invite l’homme à sortir de l’emprisonnement de soi et de sa non croissance. Lorsque l’homme est en haut d’un système il regarde vers le bas puisqu’il est supérieur aux autres et donc il n’évolue pas excellemment ; par contre, celui qui est en bas d’un système il regarde toujours vers le haut et est en évolution permanente, il est tiré vers le haut. Je suis en bas non pas pour rester nul mais regarder vers le haut et m’améliorer sans arrêt, je ne suis pas en haut parce que celui qui est en haut n’a pas d’ambition autre que celle d’avoir atteint le sommet ! Or le sommet est trompeur parce que je ne dois pas être meilleur que les autres – comme le prétend le roi des renards, je dois être meilleur que moi-même – comme le crie le dernier des lions !

  • Tu seras plus honoré lorsque tu fréquenteras des gens qui te sont supérieur plutôt que lorsque tu fréquenteras des gens inférieurs. Lis toi à des gens honorables – même si tu seras

bas parmi eux, plutôt qu’à des gens bas – même si tu gagneras leur honneur », explique le Tiferet Israël. Je retrouve ici un slogan bien connu : dis-moi qui tu fréquentes, je te dirais qui tu es. C’est une notion fondamentale qui est touché ici : le social ! La société a beaucoup d’influence sur l’individu et on cherche un milieu qui nous vaut une certaine reconnaissance, on fait parfois l’erreur de penser que d’être le roi des renards nous vaudra une noblesse, mais rien de cela n’est vrai. Il est plus noble de fréquenter le lion même si on n’est qu’à la queue. Chez les renards on obtient un ‘’kavod médoumé’’ – un honneur imaginaire, alors que chez les lions on récolte un ‘’kavod amiti’’ – un honneur authentique. Fais attention à ce que ta fréquentation t’offre comme valeur et comme place. N’aies pas peur de changer de milieu si celui-ci est renard. Ne critique pas l’autre pour ce qu’il est mais à cause de ce qu’il t’apporte de néfaste. Ne consomme pas les idées de tous pour leur faire plaisir et te valoir leur reconnaissance, bas toi pour des idées hautes plutôt que de gober des sottises mondaines. Acquiers ton respect non pas à travers la société mais à travers les valeurs que tu défends. Ne cherche pas à faire plaisir aux autres mais cherche plutôt à vivre dans le bonheur réel.

Fréquente le lion,

Éloigne-toi du renard…