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Le respect des parents

Rav Imanouel Mergui

Dans une société qui banalise tout…, et particulièrement les ‘’anciens’’ il est quasi utopique de parler de respect et plus particulièrement du respect des parents. Les jeunes, et l’adolescent en particulier, sont largement confrontés à ce devoir et cette mitsva de la Tora que de respecter leurs parents. Les parents eux-mêmes vivent un malaise dans cette absence de respect. N’oublions pas que le principe de ‘’famille recomposée’’ (que je préfère nommé ‘’famille décomposée’’), et ce entre le nombre impressionnant de divorces que connaît notre société (sans parler de l’horreur du pacs…) et de la crise de chalom baït (crise bien plus importante que la crise boursière…), et entre toutes les crises existentielles qui tournent autour de la ‘’famille’’ la notion du respect des parents est extrêmement fragilisée voire bafouée, voire même quasi inexistante. Or en terme de Tora cette mitsva est d’une extrême importance comme nous le verrons. Ce problème est également soulevé par les psychologues d’aujourd’hui, c’est dire qu’il préoccupe l’homme en tant que tel.

Dans la paracha de Yitro chapitre 20 verset 12 dans les Assérète Hadibérote (plus connu sous le nom des Dix Commandements) la Tora ordonne « respecte ton père et ta mère ; afin que tes jours s’allongent sur la terre que l’Eternel ton D’IEU te donne » voir également le verset dans Dévarim paracha Vaéth’anan chapitre 5 verset 16 ; et Rachi de commenter : et si tu les respectes pas tes jours s’écourteront ! Le respect des parents a une conséquence directe sur notre bien être en Erets Israël ! Quel rapport y-a-t-il entre le respect des parents et Erets Israël ? Je peux d’emblée penser que je n’ai rien compris au devoir du respect des parents et à ce que représente la terre d’Israël… Et, n’oublions pas, je cite là un verset de la Tora énoncé dans les Dix Commandements. Ce n’est pas là qu’une idée ésotérique ou midrachique. C’est la Tora pure ! On peut constater que la mitsva de respecter les parents a une incidence sur notre habitation en Erets Israël, donc par voie de conséquence elle a une influence sur toute la société. Là se trouve donc un échantillon de réponse sur notre question : la société commence au sein de la famille. La société trouve son embryon au sein de la famille. Des enfants qui ne respectent pas ou qui respectent mal leurs parents sont des enfants qui auront un regard négatif et vil envers les autres. L’autre commence là !  Or nous savons que la terre d’Israël est promise au ‘’kélal’’, à la communauté, au peuple et non à l’individu. La rupture d’avec l’autre, quel qu’il soit, et de surcroît l’autre qui est le parent, est une cassure sociale. Lorsque le peuple d’Israël n’est pas soudé la terre ne peut le supporter ! La terre d’Israël est la terre de l’union du peuple d’Israël. Cette union commence au plus dur : envers les parents. Selon mon discours il sortirait que l’union commence et se définit par le respect. Et le respect, notamment celui des parents, ne s’invente pas il existe dans le Choulh’an Arouh’ Y’’D 34 paragraphes traitant de ces lois aux chapitres 240 et 241 (les chapitres 242, 243 et 244 traitent des lois relatives au respect de son maître et de ceux qui étudient la Tora). Le respect ne se définit pas uniquement par la sensibilité voire la susceptibilité de l’autre, toutefois elles ne sont pas à négliger mais c’est la Tora qui fixe les règles de cette mitsva, qui plus est du fait que cette mitsva a un rapport direct avec la terre divine : Ertes Israël. Je voudrais citer au moins un exemple surprenant mal vécu, mal compris… « Si son père ou sa mère lui ordonnerait de transgresser une loi de la Tora, assé (active), lo taâssé (passive) ou même une loi instituée par les Sages, il ne devra pas les écouter » – voir Choulh’an Arouh’ Y’’D 240-15. Le Chah’ rappelle l’enseignement Talmudique : « nous tirons cela du verset annonçant (dans la paracha Kédochim) ‘’l’homme devra craindre ses parents, je suis D’IEU’’ (pourquoi le devoir du respect des parents est clôturé par cette annonce ‘’je suis D’IEU’’ ?, pour t’enseigner) vous êtes tous tenus de Me respecter ! ». Les parents ne sont pas au sommet de la société, au-dessus d’eux il y a D’IEU ! De nombreuses gens s’introduisant dans le chemin de la Tora et de la téchouva sont confrontées à cette problématique : je veux faire téchouva mais voilà que mes parents m’en empêchent ? La réponse est claire : tu n’écoutes pas tes parents dans ce cas ! Il est évident que ne pas les écouter n’autorise en rien le manque de respect. C’est d’ailleurs bien souvent l’erreur que commettent les parents : ils se sentent déshonorés parce que leur enfant ne suit pas leur conseil. Or les lois du respect des parents n’oblige en rien de suivre le conseil des parents et, ne pas suivre leur conseil n’est pas synonyme de mépris. Mais c’est bien aussi l’erreur des enfants : ne pas suivre le conseil des parents ne tolère pas le manque de respect envers eux.

Rappelons deux halah’ot citées dans la halah’a :

1° ; Choulh’an Arouh’ Y’’D 240-19 : celle-ci concerne les parents « il est interdit aux parents d’imposé aux enfants un fardeau et d’être rigoureux sur leur respect qui leur doivent, et ceci afin de ne pas conduire les enfants à un obstacle, mais les parents doivent pardonner sur leur respect et même fermer les yeux, le parent peut pardonner sur son respect ». Les parents n’ont pas le droit d’abuser de leur enfant.

Yalkout Yossef (Kiboud Av Vaem chapitre 12 rajoute : « si les parents veulent quelque chose de leur enfant mais ils ignorent s’il sera capable de le faire, ils ne le lui imposeront pas mais ils lui suggèreront de le faire ! Les parents devront tamiser leur rapport avec les enfants et n’exprimeront pas de colère excessive ; il n’y a rien de pire pour altérer les rapports parents enfants que la colère, par conséquent ils parleront à leurs enfants calmement. Les parents devront faire attention de ne jamais prononcer de malédiction envers leur enfant. Les parents ne pourront frapper leur enfant de peur que celui-ci vienne à les frapper également. Il ne faudra pas frapper un enfant avant l’âge de cinq ans ! Les parents doivent prier pour que les enfants suivent correctement le chemin de la yirat chamaïm (crainte du ciel) ».    

Jusqu’où peuvent-ils aller ? Les parents n’ont pas le droit de conduire l’enfant à l’obstacle. Quel est donc cet obstacle ? Le Talmud au traité Kidouchin 32a nous explique que le parent n’a pas le droit d’énerver son enfant ; effectivement, commente Rachi, ceci pourrait conduire l’enfant à répondre à son parent de façon irrespectueuse et c’est le parent qui endosserait toute la responsabilité come dit le verset « tu ne placeras pas d’obstacle face à autrui ». C’est-à-dire que le parent n’a pas le droit d’être trop exigeant envers l’enfant, l’excès exigé par le parent peut conduire l’enfant à lui manquer de respect. L’objectif attendu conduit parfois à l’obtention de son contraire. Le parent exige du respect et récolte du mépris, et fatalement c’est le parent qui est lui-même à l’origine du mépris lui parvenant de la part de son enfant. Ce discours surprend les lecteurs parents mais il est une réalité : si les enfants ne respectent pas les parents ils ne sont pas les seul fautifs. D’ailleurs le respect des parents ne s’invente pas et n’est pas inné chez l’enfant (petit ou adulte), il existe un devoir du parent d’éduquer leur enfant à les respecter. Cette éducation est extrêmement délicate car il ne faut surtout pas réclamer son propre respect. Lorsque le parent dit ‘’respecte moi je suis ton père/ta mère’’ ça ne marche pas. On ne revendique pas son respect, on l’obtient. Le parent sera respecté seulement si lui-même respecte son enfant… Eh oui, lorsque les parents sont mal respectés ils sont eux-mêmes fautifs et tenus pour responsable de cette situation !  

2° ; Choulh’an Arouh’ Y’’D 240-18 : celle-ci concerne les enfants « l’enfant adultérin (mamzère) se doit de respecter ses parents et de les craindre. Même si les parents sont des impies l’enfant se doit de les respecter et de le craindre (le Rama diverge sur cette opinion il écrit : selon certains avis l’enfant n’est pas tenu de respecter son parent impie jusqu’à ce qu’il fasse téchouva. Toutefois, précise le Chah’ ceci ne lui autorise pas à être méchant avec ses parents ». Cette halah’a nous enseigne que le respect que l’enfant doit à ses parents ne dépend pas de la qualité du parent. La qualité du parent n’est pas le baromètre de ce que l’enfant lui doit. Même l’enfant conçu dans la faute, et pas des moindres puisque issu d’une relation extra-conjugale, se doit de reconnaître ses géniteurs en tant que parent auxquels tout le respect leur est dû. Et, n’oublions pas que cet enfant n’aura pas une vie facile pour ne pas dire extrêmement compliquée puisque sa vie est endommagée ainsi que celle de ses descendants jusqu’à l’éternité (tous ses descendants sont des mamzérim !), néanmoins cette vie tout aussi abîmée que les parents ont donné à leur enfant ne justifie pas un manque de respect à leur égard !!!

Yalkout Yossef (Kiboud Av Vaem chapitre 7) «  L’enfant se doit de respecter ses parents même s’ils sont durs et caractériels, et ce en particulier lorsque les parents arrivent à l’âge de la vieillesse. Même si les parents maudissent les enfants ceux-ci se doivent de les respecter. Même si les parents transgressent Chabat il faudra les respecter (c’est souvent le problème des gens qui font téchouva et là le problème se pose puisque les grands parents non religieux veulent chérir les petits enfants… il faut être bien suivi et guidé par un RAV dans ce type de situation…). Il est évident que dans le cas où les parents non pratiquants dérangent leurs enfants de pratiquer la Tora t de suivre le chemin de la Tora alors les enfants n’ont plus du tout le devoir de les respecter. De même si les parents se sont convertis à des cultes étrangers alors l’enfant n’aura plus aucun devoir de les respecter, néanmoins il n’aura pas le droit de les mépriser, de les frapper ou de les maudire. Si le père suit la voie des réformés (toute espèce de réforme : karaïtes, massorti) ne pourra pas être compté dans le zimoun du birkat hamazon ». Les lois concernant les parents non religieux sont nombreuses…

Avons-nous tout dit à propos de la mitswa de respecter les parents ? Certainement pas ; nos Sages enseignent d’ailleurs au début du traité Péa que la mitsva du respect des parents fait partie des commandements de la Tora pour lesquels on reçoit une partie du salaire dans ce monde ci et ce bien qu’à propos du salaire du respect des commandements de la Tora nos Sages disent par ailleurs « séh’ar mitsva béhaï âlma léka – il n’y a point de salaire dans ce monde ci pour l’accomplissement des mitsvot », explique le Tiférét Israël. Cette mitsva a une particularité, elle s’inscrit dans les rares mitsvot où le salaire est partiellement perçu dans ce bas monde, elle a en plus de son aspect éternel appartenant au monde de l’avenir un aspect appartenant à ce monde ci. Il serait possible de penser qu’il y a un salaire parce que le respect des parents est un commandement des plus difficiles à accomplir, comme le souligne d’ailleurs Rav Hertman : le respect des parents est un commandement ‘’assé’’ (actif) de la Tora, or sur cette catégorie de commandements il n’y a pas habituellement de sanction (Gour Aryé Chémot 20 note 4). Tellement difficile que le Talmud au traité Kidouchin 31a rapporte les propos de Rabi Yoh’anan qui annonce « heureux celui qui n’a pas connu ses parents ! » et la guémara de dire que Rabi Yoh’anan lui-même n’a pas connu ses parents, son père est mort lorsque sa mère était enceinte et sa mère meurt au moment de sa naissance. Rachi explique : il est quasiment impossible de respecter correctement ses parents ce faisant l’enfant est sanctionné sur le manque de respect envers ces parents. Vu la difficulté de l’accomplissement de cette mitsva et la sanction plus facilement recueillie la Tora promet un salaire déjà ici dans ce bas monde pour encourager sa pratique et pour équilibrer la balance, on ne peut pas sanctionner d’un côté sans récompenser de l’autre ! Si cette idée est vraie, elle n’est pas qu’un message pour l’enfant, je veux dire que la Tora octroie un salaire vécu dans ce monde pour ne pas subir uniquement un châtiment ; elle est également un message pour les parents : le rapport que les parents doivent avoir envers l’enfant ne peut pas se limiter à la sanction et à la rigueur, ils se doivent impérativement d’investir autant, pour ne pas dire davantage, dans le sens du compliment et de la récompense plutôt que dans celui de la sanction. Pourquoi lorsque l’enfant déçoit ses parents ceux-ci manifestent un mécontentement supérieur au sentiment de joie qu’ils lui exprimeront lorsqu’il leur fait plaisir ?! Un zéro à l’école est largement plus sanctionné qu’un vingt est récompensé !

Le Maharal (Tiféret Israël chapitre 40 et 61) développe l’idée comme suit (sans avoir la prétention de l’avoir compris…) : « en réalité le respect des parents ne devrait pas connaître de salaire puisque c’est un commandement qui découle de la pure et simple raison, or celui qui paie sa dette n’est pas récompensé pour autant ». La Tora demande à l’homme de respecter ses parents or ceci est un commandement qui découle de la logique la plus absolue. La Tora nous surprend lorsqu’elle promet à l’homme un salaire dans ce monde ci ainsi que dans le monde à venir. Les respecter c’est comme rembourser de l’argent qu’on a emprunté, attend-on un salaire pour cela ?! Certainement pas. Il y a tout de même quelque chose de paradoxal dans cette mitsva de respecter ses parents : elle découle de la logique la plus absolue, du ‘’daât et seh’el’’ comme dit le Maharal, et en même temps elle est ce qu’il y a de plus difficile à accomplir ! A croire que les choses logiques ne sont pas obligatoirement les plus faciles à faire… Et là je m’interroge, j’ouvre le débat (auquel vous avez droit de réponse en envoyant vos réflexions à daatora@yahoo.fr) : le respect des parents est difficile parce que les parents le rendent difficile ou parce que les enfants le vivent mal ??? Quel est l’origine de cette difficulté ?

Quel est donc l’enjeu du salaire promis dans ce monde ci ? Le Maharal continue : « Les parents sont la cause de l’existence ‘’siba lamétsioute’’, il convient donc d’obtenir l’existence à celui qui accomplit ce devoir ». En réalité ne pas respecter ses parents c’est les rejeter et ce rejet retranche la vie bien évidemment car celui qui nie l’existence de ses parents ne peut que nier sa propre existence, en simple ‘’sans eux je ne serais pas là où je suis !’’. Si le principe du rejet de l’autre est d’emblée le rejet de soi ceci est d’autant plus vrai concernant le rejet des parents. L’autre n’est pas la cause de mon existence même s’il a toute son importance dans mon existence, par contre les parents sont la cause unique de l’existence de l’enfant. Tout aussi difficile qu’il est de les respecter il en est tout autant vital. Refuser ses parents c’est refuser le droit de la vie. Accepter ses parents et les respecter c’est accepter la vie, il en va de soi que ce choix connaît un salaire dans le sens de conséquence de mes actes dans ce monde ci

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