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La Bouche…

Rav Imanouel Mergui

La bouche parle, se tait, prie, raconte, embrasse, mange, chante, médit, sourit, gronde, grimace, etc. Toutes ces expressions et beaucoup d’autres encore sont les verbes de la bouche. En réalité l’être s’exprime par la bouche, il développe sa personnalité et la dévoile. La parole est même ce qui distingue l’être humain de l’animal ; lorsque la Tora dit dans Béréchit 2-7 « et D’IEU créa l’homme poussière de la terre et insuffla en lui une âme vivante et l’homme devint un être vivant », le Targoum Onkelos traduit « et l’homme devint un être parlant ». D’IEU insuffle une âme en l’homme pour lui attribuer la faculté de la parole ! Rachi rajoute : D’IEU attribua à l’homme « la conscience דעת et la parole דבור .« Il est certain que la parole et la conscience sont intimement liées, la parole reflète la pensée et la pensée s’exprime par la parole. Quand on dit à quelqu’un ‘’excuse moi je ne pensais pas ce que je t’ai dit !’’, c’est un gros mensonge… Il y a dans le Talmud une étude très profonde quant au pouvoir de la parole. Au traité Bérah’ot 19a la guémara dit qu’après avoir enterré son mort, l’endeuillé doit faire une prière et dire ainsi « maître du monde : j’ai commis beaucoup de fautes devant toi et tu ne m’as pas sanctionné, même pas une faute sur mille, qu’il soit de ta volonté de cadrer les erreurs de ton peuple avec miséricorde ». Abayé est gêné par l’introduction de cette prière qui laisse entendre ‘’tu ne m’as pas sanctionné de mes fautes, donc sanctionne moi’’, or la règle dit לשטן פיו אדם יפתח אל לעולם l’homme ne doit jamais ouvrir sa bouche au Satan ! Rav Yossef tire cette leçon du verset dans Isaïe. C’est-à-dire l’homme ne doit jamais formuler ses propos, même pas devant D’IEU dans sa prière, de telle manière où ceux-ci peuvent être la cause et entraîner sa chute. La façon de prononcer quelque parole soit elle encoure le risque de se voir attribuer ce qu’on a formulé, même si bien évidemment tel n’était pas notre souhait. C’est ainsi que le Rama Y’’D chapitre 376 paragraphe 2 stipule la halah’a : l’homme ne doit jamais dire je n’ai pas été punit sur mes actes, ou pareille propos, puiqu’il ne faut pas ouvrir la bouche du Satan. On peut lire encore au traité Bérah’ot 60a : celui qui rentre au bain doit prononcer la prière comme suit (de nos jours cette prière n’est plus prononcée puisque le bain n’est pas une activité qui contient des risques comme c’était le cas autrefois – voir Michna Béroura 230 (5) et Chaâr Hatsion (7)) « qu’il ne m’arrive aucun mal, et que si jamais il m’arrive un mal qu’il soit l’expiation de ma faute ». Là encore Abayé rappelle que cette prière ne doit pas être formulée ainsi de peur que le mal n’arrive à l’homme, comme nous livre la règle que l’homme n’ouvre jamais la bouche au Satan. Là aussi, même si l’enjeu de cette réclame ‘’que s’il m’arrive un mal qu’il expie mes fautes’’ tout aussi louable qu’elle puisse paraître elle laisse sous-entendre que le mal peut arriver. Or l’homme n’a pas le droit d’user de sa parole pour se faire du mal à soi. On connaissait jusque-là la mise en garde de ne point nuire à autrui par la parole, néanmoins ces textes nous apprennent que l’homme doit être vigilant de ne point s’attirer des malheurs par sa parole. C’est dire que l’homme est bien souvent à l’origine des malheurs qui lui arrivent, et pas seulement par ses erreurs et ses fautes commises, mais plus simplement par le fait d’avoir prononcé des malédictions sur lui-même. Le Maharcha explique (Kétouvot 8b) : la bouche éveille la qualité de Justice divine, même si on dit des choses mauvaises ne serait-ce que par allusion, le Satan accuse en prétextant que l’homme a lui-même reconnu que le malheur devait l’atteindre. Rav Dessler zal explique (volume 4 pages 166 et 221) : « Le Rachba écrit que nul ne peut comprendre véritablement le mécanisme de la parole et son influence sur la vie de l’être. Toutefois nous nous autorisons à voir dans cette assertion talmudique que l’homme n’a pas le droit de parler de telle façon où il laisse sous-entendre que sa vie est méprisable, ceci éveille la justice divine. Si l’homme ne se retient pas de tenir des propos négatifs sur sa personne c’est qu’il ne reconnaît pas la valeur suprême de sa vie. Il jette sa vie à l’abandon ! ». Cette idée est très forte, l’homme doit se respecter et accorder à sa vie tout le poids qui est sienne. Tenir des propos désobligeants à son égard c’est admettre la possibilité, relative et éventuelle, que sa vie n’en vaut pas le coup. Ceci même est ce qu’il recevra. L’homme écrit sa vie. D’IEU donne à l’homme ce qu’il désire et celui qui désire, aussi inconsciemment soit-il, de voir sa vie malheureuse c’est ce qu’il aura ; or la parole exprime le désir profond de l’homme. Le Rachba pense que le pouvoir de la parole est surpuissant et dépasse la logique humaine. C’est-à-dire que D’IEU a doté l’homme d’un pouvoir plus fort que l’homme lui-même !!! Rappelez-vous le verset cité en début de cet article qui veut que « D’IEU insuffla à l’homme une âme vivante et fit de lui un être pensant/parlant ». Le pouvoir de la parole est une énergie divine. Dans son Méor Israël (Bérah’ot 19a) notre Maître le Gaon Rav Ovadya Yossef chalita note deux points importants sur ce sujet : – Le Maharikach dit que la bouche qui cause un tort n’a de pouvoir uniquement sur le particulier mais pas sur un ‘’tsibour’’ (communauté). Le mérite du tsibour en tant que tel est si puissant que celui-ci est par excellence protégé des malédictions proférées à son égard. – Le Iyoun Yaâkov et le H’ida sont d’avis que la parole négative de l’homme n’a d’effet uniquement dans une période où la justice divine est en action. Ce n’est pas à chaque fois que l’on prononce du mal que celui-ci arrivera obligatoirement, néanmoins, à part quelques exceptions, du fait que l’homme ignore quand la justice divine est présente, vaut mieux pour lui de taire sa bouche tout le temps de ne point prononcer des propos entraînant le malheur. La grandeur de l’homme ne se joue pas systématiquement quand il parle mais bien souvent c’est plutôt quand il ne parle pas !


Le sujet de ‘’la bouche’’ a un sens particulier en cette période que nous vivons. La tuerie de Toulouse du 19 mars dernier ne nous laisse pas indifférent. Chacun de son côté essaie d’en tirer des leçons, espérons les bonnes, et si nous nous interrogeons tous sur ces leçons à tirer et sur le ‘’comment’’ ou encore le ‘’pourquoi’’ de ‘’tout ça’’ soyons vigilants à ne pas dire n’importe quoi. Il est d’ailleurs surprenant de voir que les familles Monsonégo et Sandler, touchées par cet épisode dont les mots sont insuffisants pour en décrire l’horreur, sont elles qui nous renforcent dans leur propos tenues. Nous qui sommes à l’extérieur de tout ça, nous nous offusquons et nous passons notre temps à soulever des questions dont nous n’aurons pas de sitôt les réponses, voire jamais. Ces familles accablées quant à elles s’efforcent de véhiculer des messages à tout Israël dans le monde entier, on a presque l’impression que se sont elles qui nous donnent du courage pour ne pas baisser les bras, et surtout pour ne pas tenir des discours vains, futiles et inutiles. Cet évènement dépassant l’entendement et la raison ne doit pas se limiter uniquement à des discours portant sur l’antisémitisme (ce vieux problème qui touche le peuple d’Israël depuis son existence), l’insécurité ou autres du genre. Il y a des messages qui touchent notre existence et notre raison d’être. Tirons des leçons concrètes et valables. Je vous propose une réflexion personnelle qui prend un sens là en cette veille de Pessah’. Analysons vraiment très simplement ce drame. Il a touché des enfants à l’intérieur d’une école. Le message me paraît d’une évidence frappante : l’éducation des enfants a été touchée ! La question largement soulevée durant ces dix derniers jours, certes importante, de la sécurité de nos enfants me paraît quelque peu insuffisante. Si on s’interroge véritablement de savoir quel est l’avenir de nos enfants, ici ou ailleurs, je voudrais reformuler la question : quel avenir, nous parents, voulons de nos enfants ?! C’est la grande question de l’éducation qui est à soulever. Cette question immense et dans son sens le plus large. La sortie d’Egypte n’a pu se faire uniquement grâce au concours dévouée et sans égal de deux femmes d’Israël du nom de Chifra et Pouâ (récit décrit au début du livre de Chémot chapitre 1), si l’évidence des versets de la Tora laisse clairement apparaître que ces femmes encourageaient la procréation d’enfants dans le peuple d’Israël je comprends que ces femmes ont misé sur les enfants aussi bien dans leur qualité que dans leur nombre ! Rien ne les arrêter pour stimuler les couples à enfanter. D’ailleurs le Talmud au traité Sota 11b fait l’apologie des femmes pieuses d’Israël qui sont à l’origine de la sortie d’Egypte. Et quelle est leur piété ? Je rapporterais très brièvement la conclusion du Talmud, je vous laisse le soin de prendre le temps de vous assoir pour aller étudier, les femmes d’Israël incitaient les maris à procréer ! Quelle était la mission de Chifra et Pouâ ? Je m’arrêterais sur Pouâ en citant le commentaire de Rachi tiré du traité Sota 11b « Pouâ c’est Miryam, la Tora la nomme ainsi parce qu’en hébreu Pouâ veut dire : parler et dialoguer. Miryam parlait avec les bébés pour les apaiser et pour jouer avec eux ». Voilà le rôle d’une maman PARLER avec son enfant. Et si vous prétendes que c’est chose évidente, la réalité montre et prouve ô combien ce n’est pas tâche facile. C’est l’éducation de la parole… Un peu plus loin dans le livre de Chémot 2-14 et Rachi, Moché Rabénou dit « je comprends pourquoi les Enfants d’Israël endurent tant de souffrance en Egypte ; c’est à cause de la médisance ». Encore une leçon sur la bouche. Miryam approuve et encourage à la douce parole, Moché condamne la bouche dégoûtante – celle qui médit et colporte. L’exil accablant de l’Egypte trouve son origine dans la boucle qui parle mal, la délivrance se fait par la bouche qui exprime de la douceur et de la tendresse. De là rebondissons à la fête de Pessah’. On connaît l’idée qui propose de décomposer le nom de la fête en deux mots « Pé » – la bouche, « Sah’ » – qui parle. Et même l’enfant qui ne pose pas de question, qui reste muet, on va faire un exercice « pour lui ouvrir la bouche ». Pessah’ est la fête de l’exercice de la parole. La fête où la bouche est reine. La fête où on doit s’inspirer de Moché pour se taire de parler sur autrui, et s’inspirer de Miryam pour apprendre à parler à autrui. Activité difficile mais qui s’impose et indispensable si nous voulons connaître des jours meilleures. Si nous prônons la sécurité devant nos lieux de culte, phénomène important, n’oublions pas l’idée du Midrach qui rappelle que D’IEU a placé deux sécurités à notre bouche : les lèvres et les dents, pour ne pas que notre langue s’empresse à parler n’importe comment. Arrêtons notre discours ici, il n’est plus l’heure de parler mais celle d’agir et l’action de se taire est bien plus difficile que celle de parler. Comme dit mon grand Maître Rav Wolbe ztoukal il est plus difficile d’apprendre à se taire que d’apprendre à parler. Agissons. Ne baissons pas les bras. Baissons plutôt les lèvres pour empêcher notre bouche à dire tout et n’importe quoi. Fasse Hachem que cette fête de Pessah’ soit synonyme d’une bouche qui parle correctement, à l’autre et à D’IEU. Que notre bouche prononce les mots justes pour que nos prédateurs restent muets


Si la bouche occupe une place importante dans la vie, nos Sages lui ont également réservé une place majeure dans la prière. Nous ouvrons la prière par le verset des Psaumes (51-17) « D’IEU, ouvre mes lèvres et que ma bouche raconte ta louange ». Nous clôturons la prière par un passage fabuleux « mon D’IEU, garde ma langue (de prononcer) du mal et mes lèvres de parler avec ruse ». En réalité la bouche joue un rôle primordial dans la prière car si la prière est appelée ’’avoda chébalev’’ – exercice du cœur, le devoir est de l’exprimer par la bouche !, comme le stipule le Choulh’an Arouh’ O’’H (101-2 et Rav Ovadya Yossef dans Halih’ot Ôlam 1 page 154 à 164). On ne peut être acquitté d’une prière du cœur non prononcée par la bouche. La halah’a est très stricte quant à l’interdiction de parler entre la fin de la prière et le début de la répétition ainsi que pendant la répétition, la prière est un moment où notre bouche doit être consacrée pleinement à prier aucune autre parole ne doit brouiller la prière. Si prier c’est exprimer à D’IEU les pensées de notre cœur c’est également consacrer notre bouche à cet exercice. Mais la bouche n’est pas seulement l’outil d’exprimer notre entretien avec D’IEU elle est également le produit même de notre prière, il faut prier pour notre bouche. Et c’est bien sur elle qui faut prier avant tout. Toute prière est précédée de cette requête adressée à D’IEU « ouvre ma bouche », l’outil de la prière doit être convenable. On ne peut pas s’adresser à D’IEU avec une bouche impropre. Finir la prière c’est également s’assurer que jusqu’à la prière suivante notre bouche restera digne et propre, c’est pourquoi en fin de prière il importe de demander que notre bouche soit gardée de tout mal qu’elle risque de causer. Comment s’adresser à D’IEU avec une bouche pourrie ?! Une bouche pleine de médisance, d’insultes, de mensonge etc. peut-elle être à l’origine de ce que je veux demander à D’IEU ?! Prier c’est s’assurer que tous les moyens de la prière soient corrects et ceci commence par la bouche. Corriger sa bouche est l’introduction à la prière. Au milieu de la prière, à la 16ème bénédiction précisément, nous prions D’IEU pour qu’IL écoute nos prières, nous disons « écoute notre voix etc., accepte nos prières etc., écoute notre prière car Tu écoutes la prière des bouches », ’’téfilat kol pé’’. Nous demandons à D’IEU d’écouter la prière de ‘’la bouche’’ et non celle du cœur. Enfin le verset récité, répété deux fois en fin de la prière, « que les propos de ma bouche soient agréés ». La bouche est l’outil de la prière, le contenu de notre prière, l’espoir de notre prière. La téfila c’est apprendre à faire un bon usage de sa bouche. Et ce, pas seulement visà-vis de D’IEU mais même vis-à-vis des hommes. La parole reflète l’état de l’être. Elle témoigne non seulement du ‘’respect’’ qu’on a pour ce qui nous entoure, bien plus que cela elle est le reflet même de soi-même. Ceci prend un sens particulier lors de la prière. Effectivement au moment de la téfila on s’approche vers D’IEU mais également on s’approche ‘’à’’ D’IEU. Or la bouche est à la frontière du concret et de l’abstrait. La bouche est un organe physique qui agit en abstrait puisque la parole est un son et un souffle bien organisés ! D’ailleurs le Talmud s’interroge si la parole est un « maâssé », une action. La parole est donc le passage du monde concret au monde divin. D’IEU « insuffla à l’homme un souffle de vie et l’homme devint une âme vivante », Onkelos traduit « et l’homme devint un être parlant ». D’IEU trouve place en l’homme dans son parler. La puissance des hommes de parole est supérieure à celle des hommes d’action. Agir c’est encore s’inscrire dans le monde matériel, parler c’est surmonter la matière et la rattacher au divin. N’oublions pas 1) les fautes commises par la parole, tel la médisance, le mensonge et autres encore connaissent des sanctions d’une extrême sévérité, 2) étudier la Tora est la mitsva la plus grande et la plus importante de la Tora or cette mitsva passe uniquement par la bouche ; étudier comme prier c’est cette exercice divin de la parole. Ces deux activités, la parole et la prière nous rattachent au divin, à D’IEU, de façon totale et absolue.


La guémara au traité Pessah’im 113b nous enseigne que celui qui parle « éh’ad bapé vééh’ad balev », c’est-à-dire dont son parler ne correspond pas à ce qu’il pense dans son cœur, D’IEU le haït ! C’est encore un exercice fabuleux concernant la parole. Le contenu de la parole doit être celui du cœur. Selon le Maharcha cet enseignement nous indique que l’homme doit avoir un comportement agréable vis-à-vis des autres ‘’ben adam lah’avéro’’. D’après cela cet enseignement nous livre un point très fort : D’IEU haït celui qui a une attitude reprochable envers autrui ! Dire aux autres des choses qui n’ont pas voyagé par notre cœur, et qui n’ont pas l’aval du cœur c’est attiser la haine divine, parce que c’est causer du tort aux autres. Cependant ce qui est encore plus fort dans cet enseignement c’est que l’autre ne saura peut-être jamais que les propos que je lui tiens sont en désaccord avec la pensée de mon cœur, malgré tout ceci est considéré comme une atteinte à son égard. Il faut être irréprochable à l’égard d’autrui même sur ce qu’il ne peut vérifier ! Le Maharal (Nétiv Hatoh’éh’a chapitre 1) explique encore : « la création du monde réalisée par D’IEU est l’œuvre divine émanent de son essence ; rien est s’il n’est pas en Lui ! ». Parler sans penser c’est créer autour de soi un univers sans origine intrinsèque à l’être. C’est admettre que certaines choses peuvent exister sans qu’elle soit rattachée à celui qui les émet. C’est détacher le monde créé du créateur. D’après le Maharal ceci active la haine divine puisque celui qui agit ainsi se diffère du créateur. L’homme doit ressembler à D’IEU ; et peut-être encore plus particulièrement pour ce qui est de la parole… Tout d’abord parce que D’IEU a créé l’univers et son contenu par la parole… Trahir la parole c’est trahir l’outil de la création… La parole de l’homme est la manifestation divine qui est en lui puisque lorsque D’IEU a créé l’homme Il lui insuffla une ‘’âme parlante’’… Je voudrais rajouter une idée, en m’inspirant de ce commentaire du Maharal : si la parole ne correspond pas au cœur, ceci ne peut qu’attiser la haine divine. La haine c’est exprimer le sentiment de détachement de soi vis à vis de l’autre. Parler sans penser c’est créer un monde qui ne se rattache à rien. D’IEU hait cette personne c’est-à-dire elle lui renvoie le reflet de ce qu’elle véhicule elle-même : comme elle permet le détachement de la création de son créateur alors à son tour le créateur se détache de lui. Si d’après le Maharcha le tort de celui qui est en désharmonie entre la bouche et le cœur est un mal causé à autrui, selon le Maharal c’est un mal vis-à-vis de soi-même. Parler sans cœur c’est vivre dans l’extériorité de soi et ignorer son intériorité. C’est penser que le monde n’a pas de face voilé, c’est l’exhibition de soi. Parler ainsi à autrui c’est lui dire en face ‘’tu ne vaux pas plus que ce que je vois de toi’’, ‘’je n’ai pas besoin de t’offrir mon cœur’’. Paradoxalement l’homme aime dire ‘’D’IEU sonde les cœurs’’ ; c’est-à-dire qu’on demande à D’IEU de ne pas nous juger uniquement (voire pas du tout) sur nos faits mais plutôt sur notre intériorité mais en même temps et à notre tour ‘’nous n’avons pas de cœur pour l’autre’’. Certains pensent que la foi se limite au cœur, toute la Tora ce n’est rien d’autre que le cœur, ils se sentent même supérieur aux êtres d’action prétextant que D’IEU n’a d’autre attente de l’homme que le cœur, et même lorsqu’ils font des erreurs, ils demandent à D’IEU de ne pas les juger sur leur fait mais plutôt sur la profondeur de leur être qui est bon par excellence. On sait donc exiger cela de D’IEU mais est-ce que nous agissons ainsi vis-à-vis des autres ?! Or justement D’IEU sonde les cœurs et sait si celui qui parle à l’autre y met du cœur ou non. Rabi Akiva Eiger dans son Guilyon Hachass sur Pésah’im rappelle la guémara dans Baba Métsiâ 49a et Rachi, qui enseigne que le comportement de « éh’ad bapé éh’ad balev » a une implication qui va au-delà de la ‘’simple’’ morale. Effectivement selon Abayé la Tora ordonne à l’homme d’être cohérent dans le commerce et ce en n’avançant pas un prix dans la marchandise s’il a l’intention de changer le prix par la suite (le Maharats H’ayot comprend que cette interdiction concerne aussi bien le vendeur que l’acquéreur, l’un comme l’autre n’ont pas le droit de faire des promesses commerciales s’ils ont au même moment l’intention de changer leurs avances. Le Choulh’an Arouh’ Harav H’’M 17-2 rappelle que selon cette guémara il est une interdiction de l’ordre de la Tora que de tenir des propos dits ‘’éh’ad bapé vééh’ad balev’’ dans le commerce). Il y a donc là également une implication dans la halah’a. L’hypocrisie c’est celui qui tient des propos dont au moment même où il les émet il a l’intention de les changer. L’homme doit apprendre à tenir ses engagements (excepté s’il y a des données qui changent par la suite comme explique Rachi) ; il ne s’agit pas là seulement d’un exercice à posteriori : j’ai dit donc je fais, il y a là également un exercice à priori : je ne dis que ce que je suis capable de faire… Autre implication halah’ique de cett règle, rappelle encore Rabi Akiva Eiger dans son Guilyon Hachass dans Baba Métsiâ, est l’enseignement cité dans Rachi Kétouvot 86a : Rav Papa dans le Talmud est d’avis que remboursé ses dettes est une mitsva (bien plus qu’un devoir logique : j’ai emprunté je rembourse). Quelle est cette mitsva qui prescrit de devoir payer ses dettes ? Rachi explique : l’homme a le devoir d’être cohérent dans ses propos « léamète dévarav ». Emprunter c’est s’engager à rembourser, celui qui ne rembourse pas l’argent ou le bien emprunté il n’a pas de parole, ses paroles sont sans ‘’cœur’’. Rambam écrit dans ses Hilh’ot Déôt chapitre 2 paragraphe 6 : « l’homme n’a pas le droit de tenir des propos de querelle et de séduction. Il ne tiendra pas un discours qu’il ne pense pas dans son cœur, son intériorité doit correspondre à son extériorité. Il n’a pas le droit de voler l’esprit de quiconque même pas du non juif… ». Des propos qui ne reflètent pas le fond de notre pensée sont tout aussi graves que des propos de discorde ! Le roi David nous livre également une leçon quant à ce sujet. Dans le livre saint des Téhilim on peut lire au chapitre 15 « Psaume de David, Eternel qui habitera dans ta tente ? Qui résidera dans la montagne de ta sainteté ? Celui qui dit la vérité en son cœur ! ». Que signifie dire la vérité dans son cœur ? La vérité ne se dit-elle pas plutôt par la bouche ? Even Ezra écrit : « véhou kol haadam », l’homme ne se définit uniquement par cette qualité. Mais de qui s’agit-il ? Qui est cet homme sur lequel le Roi David dit qu’il ne peut résider dans la demeure divine, c’est-à-dire avoir une proximité forte et intime avec D’IEU ? Rachi commente : « le bien que l’homme dit est celui qui se trouve dans son cœur, il ne dit pas par sa bouche des choses qui ne se trouvent pas dans son cœur ! ». Le Malbim écrit que cette notion ne concerne pas uniquement la relation que l’homme doit entretenir avec autrui, ceci concerne également la ‘’émouna’’, la foi, notre rapport avec D’IEU. La foi ne consiste pas seulement à avoir un discours de croyant ‘’min hasafa vélah’outs’’ de la bouche vers l’extérieur, « ki gueder haémouna haskamat halev im ma chéou motsi bisfatav » – c’est cela même la définition de la foi, c’est-à-dire la correspondance ‘’cœur-bouche’’. Cette idée du Malbim est surpuissante : l’incohérence ‘’bouche-cœur’’ est synonyme d’incroyance en D’IEU… La foi c’est justement trouver cette harmonie qui va relier le cœur et la bouche. Parce que s’il est facile de tenir des discours de foi en D’IEU l’exercice est plus difficile quant à les ressentir dans le cœur. Et si la désharmonie de ces deux organes, bouche et cœur, témoigne du manque de confiance en D’IEU dans notre discours sur la foi elle le témoigne également dans notre discours incohérent tenu à autrui. Chaque fois qu’on parle de façon où la bouche ne reflète pas le cœur c’est que notre foi est faible. Parler ainsi c’est cacher notre faiblesse.

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