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Le déguisement e(s)t l’ivresse

L’origine de l’habitude de se déguiser à Pourim n’est pas clairement établie. Le Rav Elie Munk (La
voix de la Torah/Nombres, pp.208-210) suppose qu’elle trouverait sa source dans le Midrash sur la
Parasha Houkat. Dans cette section de la Torah, il est écrit qu’Israël fut attaqué par « le Cananéen,
roi d’Arad » (Nombres 21, 1). L’identité de ce roi n’étant pas dévoilée, les Sages proposent diverses
explications. Parmi celles-ci, ils proposent de l’identifier à Amalek. Pourtant, ce dernier n’est pas
originaire de Canaan. Nos maîtres expliquent alors qu’il aurait forcé son peuple à adopter la langue
des cananéens pour ruser contre les Bné-Israël. Ainsi, lorsque ces derniers se seraient trouvés face à
eux, ils auraient dirigé leurs prières contre le « Cananéen », ce qui n’aurait eu aucun effet sur le
peuple d’Amalek. Bien heureusement, les Bné-Israël firent une prière non nominaitve pour se
débarasser de leur assaillant, ce qui leur valut la victoire.
Or, Amalek n’est autre que l’ancêtre d’Aman le persécuteur des juifs dont il est question dans la
méguilat Esther (Esther 3, 1). D’où la déduction du Rav Munk quant à l’origine du « déguisement »
à Pourim: Aman le mécréant est le descendant d’Amalek, celui qui se déguise pour ruser. Dès lors
l’habitude de se déguiser représenterait une moquerie vis à vis de l’ancêtre d’Aman au déguisement
complètement inutile face aux Bné-Israël!
Quoi qu’il en soit, on remarquera que si l’habitude de se déguiser est particulière à Pourim, le
principe même du déguisment n’est pas glorieux car rattaché à la ruse d’Amalek.
Une autre pratique particulière à Pourim consiste à ce que les hommes boivent du vin « jusqu’à
confondre Aman et Mordekhaï » (Or HaHaïm 695, 2). Le Hafetz Haïm demande comment les Sages
ont-ils pu instituer une telle obligation alors que les prophètes mettent régulièrement en garde
contre l’ivresse (Biour Halakha, Ibid). Il répond alors que cette institution correspond
particulièrement au contexte car tous les évènements de Pourim furent provoqués par un repas bien
arrosé ; de la condamnation de Vashti induisant l’arrivée d’Esther auprès d’Assuréus, à la chutte
d’Aman lors du repas organisé par Esther.
On retiendra finalement que l’ivresse est prohibée en dehors de ce moment de l’année (on rajoutera
en outre que même à Pourim la consommation d’alcool est interdite si elle entraîne un délaissement
de la moindre mitsva ou un comportement outrancier).
Ainsi, le déguisement et l’ivresse sont deux comportements propres à Pourim qui ne doivent pas
dépasser le cadre de cette fête. D’ailleurs si on y réfléchit, on remarque que l’ivresse est en quelque
sorte un déguisement ; le fameux désinhibiteur qu’est l’alcool permet de se détacher de sa
personnalité publique. La question est donc : « pourquoi vouloir se détacher de son apparence? » La
réponse est le plus souvent: « Car celle-ci n’est qu’un déguisement ». On se montre donc aux autres
d’une certaine manière, puis on essaye par tous les moyens de se débarrasser de cette image…
Malheureusement, le faire par le biais de l’alcool permet uniquement de passer d’un déguisement à
l’autre.
Le problème du déguisement est fréquent dans notre société. On s’identifie à des codes
vestimentaires, des modes, des idées acceptées par notre milieu sans l’être forcément par nousmême…Ce formatage conscient ou inconscient est la cause des maladies du 21ème siècle: déprime
et frustation. Avant que le « train-train » quotidien n’amène à de tels extrêmes, il y a lieu de se poser
une question essentielle: « Qui suis-je? ». Notre personnalité ne peut être limitée au
« déguisement » que nous montrons aux autres. Il ne suffit pas de se persuader connaître notre
véritable personnalité, il faut réellement la connaître! Or, le « vrai moi » ne peut être limité à
l’image que je donne aux autres. D’ailleurs cette image est multiple puisque je ne saurais être le
même au travail, en famille, ou avec des amis…
Cette réflexion n’ayant pas une vocation thérapeutique, je m’arrêterais à ces quelques pensées
basiques. Beaucoup d’entre nous recherchent le « Emet » dans leur vie. On traduit généralement ce
mot par « vérité ». Il est également traduisible par « authenticité ». Avant de chercher « La » vérite
sur le monde, la création, il faut au préalable réfléchir à « Sa » vérité: Suis-je authentique ou bien
suis-je déguisé? Alors profitons de nos déguisements et ivresses annuelles pour réfléchir
véritablemnt sur nous-mêmes…. après avoir décuvé bien sûr….!